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En lançant les travaux de l’Agenda national de transformation du service public, le Premier ministre Ousmane Sonko a évoqué le premier obstacle que rencontrent les citoyens usagers du service public : l’accueil.
L’accueil dans l’administration publique est un monstre tentaculaire aux mille guichets, où chaque couloir est un piège, chaque bureau un mirage, chaque agent un sphinx muet ou mal luné. L’accueil est ce mot galvaudé qu’on ne croise dans l’administration sénégalaise que sur les plaques signalétiques poussiéreuses ou les pancartes défraîchies, jamais dans les attitudes.
Il faut dire que pour espérer un renseignement, il faut d’abord trouver l’agent à son poste. Là, l’accueil commence par un froncement de sourcils, se poursuit par un « OUI ? » crié comme une sommation, et se termine par un « Revenez demain » prononcé avec la grâce d’un coup de marteau.
D’autres fois quand la chance vous sourit, il faut le ou la trouver disponible car en train de discuter du dernier combat de lutte, ou du fond de teint matifiant vu sur TikTok, enfin, ne pas les trouver de mauvais poil parce qu’il ou elle a vécu une scène de ménage la veille, et en dernier lieu, comprendre la réponse, souvent prononcée dans un jargon administratif hermétique, en pointant du doigt un couloir sans nom. Et si, par miracle, tout cela fonctionne, il reste une dernière épreuve, celle du petit commentaire sur votre nom, votre tenue ou le fait que vous soyez venu « sans connaitre quelqu’un ».
Il arrive également que le premier réflexe de l’agent d’accueil est de lever les yeux au ciel, soupirer, (quelques fois bruyamment), puis de vous toiser comme si vous veniez d’interrompre une opération à cœur ouvert. Et s’il ou elle consent à vous répondre, ce sera pour vous expédier à un autre étage, un autre couloir, un autre service… où l’on vous renverra à votre point de départ. Oui, l’administration sénégalaise pratique la danse des chaises musicales version Kafka : « Bonjour, ce n’est pas ici. Essayez au fond à gauche, puis demandez à Madame Ndiaye, si elle est là ».
D’autres fois le préposé à l’accueil semble sorti tout droit d’une tragédie grecque. Impassible, inaccessible, et toujours en train d’écrire quelque chose d’incompréhensible, surtout quand vous vous approchez et que vous constatez qu’il mastique son sandwich tout en marmonnant de revenir avec le « papier avec le cachet rouge qui est resté chez l’agent du deuxième étage ».
Alors, vous vous mettez à douter. Etes-vous dans un service public ou dans un jeu de piste sadique ? On ne vous guide pas. On vous teste. Les plus faibles abandonnent dès la première rotation entre guichet 4 et bureau 12B. Les plus résistants s’accrochent, au prix de leurs nerfs, résistant à un accueil qui est devenu un concept mystique où les couloirs sont longs, les portes fermées, les visages rares. Si par miracle vous croisez un agent compatissant, il vous indiquera un certain Monsieur Ndiaye, qui n’est là que les mardis et jeudis. Entre temps, votre dossier prend la poussière, comme vos illusions.
Le Premier ministre a dit vouloir « professionnaliser l’accueil ». Noble intention. Mais par où commencer ? Parce que le drame c’est que bon nombre de ces agents ne savent pas eux-mêmes ce qu’ils font là. Affectés par magie ou népotisme, ils errent… assis dans un fauteuil. Leur seule arme est cette capacité extraordinaire à faire semblant d’être occupés tout en ne faisant rien. Le seul renseignement qu’ils donnent avec exactitude, c’est l’heure de leur pause.
Alors, réformer l’accueil ? Oui. Il faudra plus que des ateliers de formation ou des diapos projetés dans une salle climatisée. Il faudra d’abord enseigner à ces champions du soupir profond et du regard foudroyant que répondre à un usager n’est pas un don divin, ni un acte de charité. C’est une mission, un métier, une fonction publique, pas une punition expiée à coups de mauvaise humeur. Parce que soyons honnêtes. Dans bien des administrations, le mot « bonjour » est un dialecte mort. Faut-il apprendre à dire « bonjour » ? À lever les yeux de son écran ? À orienter sans humilier ? Peut-être faudrait-il surtout rappeler à ces soldats de l’accueil que leur mission n’est pas de garder des chaises, mais de servir des citoyens.
Car tant que l’on continuera à considérer l’usager, le citoyen comme un intrus et l’agent comme un demi-dieu, nos couloirs d’administration resteront des labyrinthes
L’article Chronique de l’improviste/ Portes closes, regards froids : spectacle d’un accueil Par Henriette Niang Kandé est apparu en premier sur Sud Quotidien.