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De Douiba à Khnifist R’mad, en passant par Myopia et Les Testaments, Sanaa Akroud a toujours su captiver son public par des personnages féminins aussi forts que vulnérables. Actrice, réalisatrice et scénariste engagée, elle donne voix aux luttes des femmes marocaines, notamment celles des milieux ruraux.
Avec Les Testaments, son dernier film, elle signe une œuvre profondément engagée, abordant un sujet d’une actualité brûlante : la Moudawana, dont la réforme est en cours au Maroc. À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, Sanaa Akroud revient pour Hespress FR, sur cette nouvelle création, ses choix artistiques et sa vision du cinéma au service des causes sociales.
Votre film Les Testaments aborde des thématiques profondes liées à la Moudawana et aux droits des femmes, notamment la garde des enfants et la tutelle. Pourquoi avez-vous choisi ce sujet et quel message souhaitez-vous transmettre à travers cette œuvre ?
Le film « Les Testaments » aborde plusieurs questions importantes, notamment le mariage des mineures, l’importance de l’autonomisation économique des femmes, ainsi que la tutelle et la garde des enfants, en particulier les batailles que mènent les femmes, notamment les mères divorcées. Et toute cette souffrance qu’elles endurent pour décider du sort de leurs enfants. Il était essentiel pour moi d’aborder ces sujets, d’abord parce qu’ils ont de la valeur depuis des années, bien avant qu’il ne soit question du Code de la famille et des amendements. En réalité, un travail de fond sur ces thématiques a été entrepris depuis des années.
C’est d’ailleurs l’orientation du ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi. Quant à moi, j’ai écrit et dessiné les contours de ce projet il y a environ cinq ans, dès que j’ai quitté les salles de cinéma après avoir présenté un film qui abordait la situation des femmes rurales, l’importance de leur autonomisation économique, de leur accès à l’éducation et de l’éveil de leur conscience en tant qu’épouses, citoyennes indépendantes et mères capables d’élever des générations éclairées et conscientes.
Dans le monde rural, le phénomène du mariage des mineures est extrêmement répandu. Ce qui se passe ensuite est tragique : 90 % de ces jeunes filles quittent leur village natal, tombent enceintes très rapidement et voient leur enfance et leur avenir détruits. La plupart finissent par divorcer, incapables de supporter la vie de souffrance qui leur est imposée. Elles retournent alors chez elles, commencent une nouvelle bataille pour élever leurs enfants seules, sans emploi, sans diplôme, sans aucun soutien. Elles doivent travailler, mais dans quelles conditions ? Leurs propres familles, souvent réticentes à les accueillir après un divorce, finissent par les accepter, mais elles doivent se battre pour récupérer leurs droits et traverser un véritable calvaire judiciaire.
J’ai vécu tout cela de près, j’ai écouté ces femmes, j’ai mené des recherches sur ces histoires humaines. Il était impératif d’en parler, car cela concerne le droit des mères à décider du sort de leurs enfants, un droit qui leur est souvent retiré, ainsi que les injustices et les discriminations qu’elles subissent. Ce problème ne date pas d’hier, il existe depuis longtemps. Les femmes souffrent, mais personne ne les entend. Pourtant, elles témoignent sur YouTube, dans des vidéos où elles racontent leurs histoires. Malheureusement, la majorité de ces femmes n’ont même pas les mots pour exprimer leur souffrance.
Ce silence est écrasant. Même les femmes mariées n’osent pas en parler. Le problème, c’est que la discrimination, l’absence de justice sociale et l’exclusion des femmes touchent toutes les catégories. Une femme mariée peut souffrir en silence, mais une femme divorcée, elle, se retrouve seule avec ses enfants, contrainte de courir après son ex-mari pour obtenir une signature permettant un transfert scolaire, une autorisation pour une intervention médicale, ou même un simple voyage. Elle devient prisonnière de cet homme, car c’est lui qui détient la décision. La tutelle devient une arme dont il se sert pour faire pression sur elle.
Je suis une mère divorcée. Je n’ai pas vécu toutes ces injustices personnellement, mais j’ai ressenti ce que cela signifie. J’ai connu la douleur, la peur qui accompagnent le divorce. Surtout lorsque c’est la femme qui prend l’initiative de partir. Une femme qui ose demander le divorce se voit punie. Elle doit assumer seule ses enfants, tout en étant dépouillée de sa dignité, de son indépendance et même de son droit à la maternité. À chaque démarche administrative pour son enfant, elle est confrontée à des doutes, des questions sur sa légitimité en tant que mère. Pourquoi ? Parce qu’on lui dit : « C’est toi qui as pris cette décision. C’est à toi d’en assumer les conséquences ».
Une mère porte son enfant, l’allaite, le nourrit, le soigne, le protège, lui consacre son temps, ses nuits blanches, son énergie… et au final, elle n’a même pas le droit de signer un document pour lui ! C’est une discrimination terrible. Une femme divorcée vit dans une insécurité permanente, à tous les niveaux : juridique, économique, social. Et cela affecte aussi l’enfant, qui grandit dans une précarité affective et matérielle.
C’est pour cela que la loi doit être juste. Elle doit protéger ces femmes. Combien de femmes endurent des mariages sans amour, sans respect, parfois marqués par la violence – qu’elle soit physique, psychologique ou économique ? Pourquoi ? Parce qu’elles savent qu’en divorçant, elles seront dépossédées de leurs droits. La législation sur le partage des biens est faible, injuste. Une femme qui quitte son mari reste toujours sous sa coupe. Il peut décider de tout : l’avenir de leurs enfants, les dépenses, les signatures… Combien de pères disparaissent après un divorce ? Ils refont leur vie, ont d’autres enfants et oublient les premiers.
Et quand il s’agit de pension alimentaire, les montants sont dérisoires. Cela ne suffit même pas à couvrir les besoins élémentaires des enfants. Pendant ce temps, la mère, qui assume tout, se retrouve privée de son droit de décider pour eux.
Et puis, chaque année, on célèbre la Journée internationale des droits des femmes, on parle de l’évolution de leur rôle économique, politique et social, de leur accès à des postes de responsabilité… Mais en réalité, dès qu’elles veulent accomplir une simple démarche administrative, on leur dit : « Appelez votre mari, c’est lui qu’on doit entendre » ou encore « tu n’es pas habilitée à prendre cette décision, va chercher ton tuteur légal ». Comme si on était encore à une autre époque.
C’est absurde ! Une femme peut être ministre, cheffe d’entreprise, policière, médecin… Mais pour une simple signature, elle doit faire appel à son ex-mari. C’est une contradiction criante, une absurdité sociale et juridique.
On encourage les femmes à réussir professionnellement, à briser les plafonds de verre, à s’émanciper, mais dès qu’il s’agit de leurs droits fondamentaux, elles sont rabaissées à une condition d’incapacité juridique.
Ce double discours, ce paradoxe, cette schizophrénie sociale et juridique, il fallait absolument en parler. Parce que c’est une réalité quotidienne pour toutes les femmes, qu’elles soient mariées ou divorcées. Et qui en souffre le plus ? La femme, bien sûr. Mais aussi ses enfants, son entourage… Cela freine leur épanouissement, leur autonomie, leur intelligence, leur liberté.
Il est temps de changer cela. Il est temps d’instaurer une justice sociale et juridique qui protège réellement les femmes et leurs enfants.
Quels messages voudriez vous adresser aux jeunes filles et femmes marocaines à l’occasion de cette Journée internationale des droits des femmes ?
À mes yeux, chaque jour, chaque moment est une occasion pour parler aux jeunes filles de l’importance des études. Il est crucial qu’elles poursuivent leur scolarité, acquièrent des compétences et maîtrisent les outils professionnels nécessaires pour exercer un métier et générer des revenus. Il est essentiel qu’elles disposent d’un revenu mensuel qui leur offre une liberté financière et une indépendance économique. Cela change leur vision de la vie, du mariage, des relations avec les hommes et les institutions.
Cela transforme leur confiance en elles-mêmes, leur posture, l’éclat dans leurs yeux. C’est pourquoi j’insiste sur l’importance pour chaque femme, quel que soit son âge, d’étudier, d’acquérir une compétence et de travailler. L’indépendance financière est essentielle pour préserver leur dignité, leur permettre de mieux comprendre leur environnement et de contribuer activement à la société. Cela leur donne également la liberté de choisir leur partenaire de vie sur la base de convictions profondes et non par contrainte.
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