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Professeur à l’Université Abdelmalek Essaâdi, Adil Salhi vient d’être couronné meilleur scientifique arabe pour 2024, un titre décerné par l’Organisation de la communauté scientifique arabe en partenariat (ARSCO) avec l’UNESCO et l’Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences (ALECSO) relevant de la Ligue arabe. Dans cet entretien exclusif avec Hespress FR, il revient sur ce prix prestigieux, ses recherches pionnières sur l’érosion des sols et les inondations, et son partenariat avec la NASA qui pourrait transformer la résilience climatique dans la région .
Hespress Fr : comment avez-vous appris que vous étiez lauréat du prix du meilleur scientifique arabe et qu’est-ce que cela signifie pour vous sur le plan personnel et scientifique ?
Adil Salhi : le moment de la remise des prix a été une combinaison unique d’émotions inoubliables. Même si j’étais déjà au courant que j’étais le lauréat, j’étais nerveux lorsque la cérémonie a commencé. Les discours des dignitaires ont suivi, puis le président du jury a prononcé le sien. Il a évoqué la grande compétition entre d’éminents scientifiques arabes de tous horizons et a annoncé que le lauréat avait été choisi à l’unanimité par le comité pour l’excellence de ses travaux, de ses contributions et de ses partenariats. À cet instant, j’ai eu le tournis et j’ai eu l’impression que le monde pivotait autour de moi. J’ai alors ressenti une sorte de soutien divin et je me suis mis à répéter inconsciemment : “Assad ya Rassoul Allah”. Je ne savais pas d’où venaient ces mots, mais ils me donnaient une force extraordinaire. Puis mon nom a été annoncé, et je me suis levé avec fermeté et confiance, alors que Dieu a dissipé toute la tension et l’a remplacée par un sentiment de bonheur et de joie irrésistible.
Lorsque je suis monté sur l’estrade, j’ai vu dans les yeux de l’assistance un regard de fierté et d’appréciation, comme s’il s’agissait de ma famille, de mes proches et de mes amis réunis devant moi. J’ai ressenti un moment de joie que je ne voulais pas voir s’achever, et j’ai imploré Dieu de me réserver à nouveau de tels moments et d’aider ceux qui s’efforcent de vivre des moments aussi uniques. Ce moment mérite que l’on persévère et que l’on s’efforce de le revivre.
Ce prix n’est pas seulement une reconnaissance de mes réalisations scientifiques, mais aussi une appréciation de chaque moment où j’ai travaillé dur et fait des recherches sans relâche. D’un point de vue personnel, cela signifie que je n’étais pas seul sur ce chemin, mais que je faisais partie d’une grande équipe de professeurs de renom qui m’ont enseigné et inspiré, ainsi que de collègues et d’étudiants qui m’ont aidé tout au long de mon parcours. Sur le plan scientifique, c’est un appel à poursuivre l’effort d’innovation et un rappel que la recherche doit toujours être au service des gens.
Quels sont les principaux aspects abordés par votre recherche sur l’érosion des sols et les risques d’inondation dans le monde arabe ?
Ces dernières années, j’ai mené des recherches intensives qui ont abouti à une production scientifique prolifique et distinguée axée sur ces deux régions. Mes travaux de recherche ont porté sur des questions d’importance stratégique liées à la sécurité hydrique et à la résilience face à l’escalade des risques engendrée par l’accélération du changement climatique. Grâce à une étroite collaboration avec des collègues et des chercheurs d’institutions et d’universités nationales, européennes et américaines, nous avons pu fournir un diagnostic scientifique précis des modèles de changement climatique et de leurs impacts environnementaux à long terme.
Ce diagnostic précis a jeté des bases solides pour anticiper les politiques d’adaptation et de résilience, et a contribué à l’élaboration de modèles scientifiques avancés qui nous permettent de prévoir l’évolution des ressources en eau et de l’environnement jusqu’en 2100. Ces études ont révélé des résultats alarmants, notamment une baisse significative des stocks d’eau dans toute la région. Par exemple, au Maroc, nos projections indiquent une diminution d’environ 7 milliards de mètres cubes d’ici 2100, soit l’équivalent du doublement du barrage de Wahda, ce qui pourrait entraîner une baisse potentielle de 17 % du revenu national brut.
En ce qui concerne les risques d’érosion des sols et d’inondations subites, nos recherches ont révélé un lien direct entre l’accélération de la hausse des températures dans la région méditerranéenne et le réchauffement des eaux de la mer Méditerranée. Cela conduit à la formation de nuages sursaturés au début de l’automne, augmentant la fréquence et l’intensité de fortes pluies concentrées qui provoquent des inondations catastrophiques, transportant des quantités massives de terre.
Ces phénomènes augmentent l’ampleur des destructions et des pertes humaines et matérielles, comme en témoignent les catastrophes survenues à Derna, en Libye, en 2023, et à Valence, en Espagne, en 2024. À cet égard, nous avons pu identifier tous les sites à haut risque dans les pays d’Afrique du Nord afin d’orienter les efforts vers une protection proactive et efficace. Nous avons également jeté les bases scientifiques nécessaires à l’élaboration de politiques plus efficaces pour gérer les risques naturels et le changement climatique, ce qui permet de minimiser les pertes et de mettre en place des systèmes de résilience plus efficaces.
Dans une perspective globale, nos résultats ont mis en évidence les aspects psychosociaux des inondations, dont l’impact dépasse le cadre des seuls dommages physiques. Nous avons constaté que la perception du risque par les habitants varie en fonction de facteurs tels que le sexe, le niveau d’éducation, le revenu et le niveau de conscience générale. Notre étude a révélé l’importance de la perception psychologique dans l’élaboration de réponses sociales pour adopter de meilleures stratégies d’adaptation. Nous insistons sur le fait que les solutions techniques ne suffisent pas, et qu’il faut améliorer la compréhension psychosociale par le biais de programmes de sensibilisation et de campagnes éducatives durables, visant à créer une culture comportementale ciblée, afin d’accroître la résilience des communautés face à ces désastres et d’optimiser leurs réponses.
Nos résultats ont des implications pratiques pour l’élaboration de politiques d’adaptation et de résilience. Ils suggèrent que la lutte contre les inondations doit trouver un équilibre entre les solutions techniques et d’ingénierie, d’une part, et celles qui visent à améliorer la compréhension des comportements et des dynamiques sociales, d’autre part. L’objectif est de réduire la vulnérabilité et d’améliorer la résilience sociale.
Comment est née votre collaboration avec la NASA et comment a-t-elle influencé la qualité et les résultats de vos recherches ?
Ma collaboration avec la NASA a débuté il y a plusieurs années, mais elle s’est accélérée grâce à la collaboration étroite et fructueuse avec mon ami et collègue, le Dr Essam Hajji, l’un des scientifiques arabes les plus éminents à la NASA. Ensemble, nous avons développé plusieurs projets de recherche sur les principaux défis environnementaux auxquels notre région est confrontée.
Nous avons concentré nos recherches sur des questions cruciales telles que l’érosion des sols, les inondations et le changement climatique, ainsi que leurs répercussions sur les écosystèmes et les sociétés. Grâce à cette collaboration, nous avons pu exploiter des technologies de pointe, notamment des modèles informatiques et des données géospatiales, pour analyser ces problèmes et proposer des solutions innovantes.
Cette collaboration a non seulement amélioré la qualité de mes recherches, mais aussi élargi leur impact en mettant à notre disposition des études complètes basées sur des données précises et des outils analytiques avancés. Elle nous a également permis de contribuer à l’élaboration de stratégies scientifiques pour relever les défis environnementaux urgents de la région arabe.
La collaboration avec la NASA a apporté une valeur ajoutée à mes travaux, en renforçant leur rigueur et leur méthodologie scientifique, et en offrant une plateforme pour le transfert de connaissances et l’échange d’expertise entre chercheurs du monde entier. Cette expérience m’a appris que les problèmes environnementaux de notre région sont interdépendants et nécessitent une véritable coopération internationale.
Quelles sont les principales conclusions de vos travaux et comment ces recherches peuvent-elles être traduites en solutions pratiques dans la région ?
Les résultats obtenus sont très importants : nous avons pu identifier les zones les plus vulnérables à l’érosion des sols et aux risques d’inondation dans le monde arabe, et déterminer dans quelle mesure ces risques affectent la durabilité de l’environnement. Par exemple, nous avons développé des modèles prédictifs qui permettent d’identifier les zones touchées par l’érosion et les inondations, et ainsi de cibler les interventions de manière plus efficace.
En outre, nous avons obtenu des résultats surprenants concernant les aspects psychosociaux du risque. Nous avons découvert que des facteurs psychologiques tels que l’anxiété et le manque de sensibilisation pouvaient augmenter l’exposition de la population aux risques. Les habitants peuvent éprouver de la peur ou de l’apathie, ce qui affecte leurs réactions face aux crises. Par exemple, les régions qui manquent de sensibilisation à l’environnement ont plus de mal à se préparer aux inondations, et nous devons donc réfléchir à de nouveaux moyens de sensibiliser la population.
Nous disposons désormais d’outils précis pour évaluer les risques environnementaux, et ces résultats peuvent être traduits en solutions concrètes sur le terrain. Nous pouvons commencer à les appliquer dans plusieurs domaines. Dans le secteur agricole, par exemple, nous pouvons utiliser des modèles prédictifs pour orienter les pratiques agricoles vers des méthodes durables, telles que la promotion du boisement et l’application de méthodes agricoles visant à conserver les sols et à réduire l’érosion. En collaborant avec les ministères de l’eau et de l’agriculture dans les pays arabes, par exemple, nous pouvons mettre en œuvre ces méthodes dans les zones qui nécessitent une intervention urgente.
De même, en ce qui concerne la lutte contre les inondations, les systèmes d’alerte précoce devraient être enrichis de données et de ressources logistiques et humaines, et permettre de surveiller les fortes pluies et les crues soudaines à l’aide de la technologie. Les habitants et les autorités disposeront ainsi de suffisamment de temps pour faire face à la situation avant qu’elle ne s’aggrave.
Des collaborations avec les gouvernements ou des organisations régionales sont-elles prévues pour mettre en œuvre ces résultats ?
Cette étape est très importante, car l’objectif n’est pas seulement de publier des articles scientifiques, mais de transformer les connaissances en solutions concrètes au service de la société. Nous sommes en train de développer des partenariats avec des institutions influentes dans certains pays méditerranéens, et collaborons également avec des organisations internationales telles que le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Grâce à ces partenariats, nous visons à mettre en œuvre des projets conjoints qui permettront de renforcer la résilience face aux risques environnementaux et climatiques, qui constituent de véritables menaces pour la sécurité alimentaire et hydrique dans la région, et exacerbent les crises migratoires ainsi que les tensions socio-économiques affectant la stabilité politique.
En tant que membre et conseiller de plusieurs organisations internationales, mes travaux de recherche contribuent aux efforts de la communauté scientifique internationale pour guider les gouvernements et les programmes régionaux. J’ai eu le privilège d’apporter ma contribution à ces résultats lors de la conférence des parties des Nations unies, de réunions de haut niveau organisées par l’Union pour la Méditerranée et l’Union des universités méditerranéennes, ainsi que dans le cadre des programmes scientifiques de l’Union européenne. J’espère avoir l’occasion d’élargir la collaboration avec les organisations et les gouvernements régionaux afin d’obtenir un impact plus profond et plus large.
Quels ont été les défis auxquels vous avez été confronté lors de cette recherche ?
Nous avons été confrontés à de nombreux défis au cours de cette recherche, le plus important étant le manque de données dans certains pays, où il est difficile d’y accéder en raison de conditions bureaucratiques complexes ou d’un manque de ressources pour la collecte de données. En outre, le manque d’équipement informatique nécessaire pour traiter l’énorme quantité de données, le manque de soutien financier promis par des donateurs nationaux et internationaux et le manque d’accompagnement et de soutien ont constitué d’autres défis.
Pour relever ces défis, nous avons privilégié une collaboration étroite avec des équipes locales et internationales, ce qui nous a permis d’obtenir de meilleures données grâce à un réseau d’experts sur le terrain. Nous avons également investi dans des technologies de pointe telles que l’intelligence artificielle et l’analyse des mégadonnées, ce qui nous a permis d’analyser d’importants volumes de données et d’en tirer des conclusions de manière plus précise et efficace. Nous avons également dû développer de nouvelles méthodes pour intégrer et analyser ces données avec précision et efficacité. Ces outils ont non seulement amélioré la qualité de la recherche, mais ils ont également permis d’accélérer le processus et d’obtenir des résultats plus fiables.
Bien entendu, sans ressources matérielles et logistiques, et sans abnégation, nous n’aurions rien pu faire.
Quelles sont vos ambitions futures dans le domaine de la recherche scientifique ?
Mes ambitions futures portent sur la mise en place d’un réseau de recherche de premier plan qui rassemblerait des scientifiques, des gouvernements et des organisations internationales afin de développer des solutions concrètes aux défis environnementaux auxquels la région est confrontée. En combinant nos efforts, nous pouvons contribuer à un véritable changement dans la manière dont nous comprenons et appliquons des solutions durables aux problèmes environnementaux, afin de passer du stade d’adaptation à celui de l’avantage, en canalisant les nouveaux modèles environnementaux vers une production plus durable tout en épargnant les individus et les communautés des risques et des catastrophes.
À mon avis, il est essentiel de créer une institution dirigeante dotée d’une large autorité pour intervenir dès qu’une crise survient, mettre en place des systèmes de protection proactifs et former en permanence les équipes d’intervention et la communauté afin d’absorber les chocs et d’optimiser et d’accélérer une croissance réelle et durable. Nous devons tous prendre conscience que relever les défis n’est pas un luxe, mais un investissement économique et social majeur qui génère des bénéfices tangibles pour le progrès et la stabilité de notre nation.
Quels conseils prodigueriez-vous aux jeunes Arabes qui souhaitent contribuer à la recherche scientifique ?
Mon conseil aux jeunes Arabes est de croire en eux-mêmes et en leur capacité à faire une réelle différence. La recherche scientifique n’est pas réservée aux personnes talentueuses : tout le monde peut y contribuer s’il est passionné et déterminé à atteindre ses objectifs. Ne craignez pas les défis et les obstacles, ils font partie intégrante de la voie du succès. Croyez que chaque pas, aussi petit soit-il, contribue au progrès de la société dans son ensemble.
Je leur recommande de ne pas se cantonner à ce qui leur est familier ou au courant dominant, car le monde a besoin d’idées nouvelles et innovantes pour relever les grands défis. Continuez à apprendre et à vous développer, sortez de votre zone de confort. Il n’y a pas de succès sans fatigue. La science ne connaît ni frontières ni barrières, et la collaboration avec les autres est la clé de la réussite. La science exige des partenariats et une collaboration entre les disciplines et les cultures, et c’est le seul moyen de réaliser de véritables progrès. Travaillez avec acharnement et détermination, car Dieu ne perd pas la récompense de ceux qui font bien.
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