Une équipe de chercheurs de l’Institut National de la Recherche Agronomique du Maroc (INRA) vient de réaliser une avancée scientifique majeure. Il s’agit de la création des toutes premières cartes nationales à haute résolution des teneurs en phosphore et en potassium des sols agricoles marocains. Cette prouesse a été rendue possible grâce à l’utilisation de techniques avancées de modélisation numérique des sols, basées sur des algorithmes d’apprentissage automatique.
Les résultats de cette étude ont été publiés dans la revue Scientific Data du prestigieux groupe Nature, sous le titre : « Cartes fondamentales haute résolution des nutriments du sol au Maroc pour soutenir une agriculture durable ». Ces cartes constituent un outil précieux pour renforcer les pratiques agricoles durables et optimiser l’usage des engrais.
Le projet s’est appuyé sur l’analyse approfondie de 5.276 échantillons de sol pour le phosphore et 6.978 échantillons pour le potassium, collectés entre 2010 et 2022 à travers diverses régions du pays. Ces données ont été croisées avec 76 variables environnementales, incluant des facteurs climatiques, topographiques, la couverture végétale ainsi que la nature des roches mères. Cette collaboration a réuni des experts de l’Université Chouaïb Doukkali, de l’Université Laval au Canada, de l’Université Hassan II de Casablanca, ainsi que du Centre International de Recherche Agronomique pour les Zones Arides.
Pour modéliser précisément la distribution de ces nutriments, l’équipe a utilisé l’algorithme « Random Forest ». Les données ont été réparties en deux groupes — 70 % pour entraîner le modèle et 30 % pour le tester — avec un échantillonnage stratifié garantissant la représentation de tous les niveaux de concentration. Les résultats témoignent d’une excellente performance, avec un coefficient de détermination de 0,78 pour le phosphore et 0,80 pour le potassium, validant ainsi la robustesse des prédictions.
Ces cartes nationales, élaborées avec une résolution de 250 mètres, classifient les niveaux de phosphore de « très faible » (moins de 15 parties par million) à « très élevé » (plus de 100 parties par million), et ceux du potassium de « très faible » (moins de 60 parties par million) à « très élevé » (plus de 300 parties par million), selon les normes agricoles marocaines.
Elles révèlent une forte variabilité régionale dans la répartition des nutriments, mettant en lumière des zones relativement riches et d’autres souffrant d’un déficit marqué, ce qui facilite la définition de priorités d’intervention pour améliorer la qualité des sols.
L’équipe a également réalisé une analyse de l’incertitude en rééchantillonnant les données 25 fois, confirmant la stabilité et la précision des prédictions dans la plupart des zones agricoles, à l’exception des régions où les données de terrain sont moins nombreuses.
Les chercheurs soulignent néanmoins plusieurs défis persistants : la couverture inégale des échantillons sur le territoire, les différences dans les périodes de collecte, ainsi que les limites des données de télédétection, qui peuvent être affectées par la couverture nuageuse ou la complexité topographique. Ils rappellent aussi que l’étude porte uniquement sur la couche superficielle du sol (0 à 30 cm), qui ne reflète pas entièrement la disponibilité des nutriments en profondeur, influant sur certaines cultures.
À terme, l’équipe envisage d’élargir l’échantillonnage aux zones moins représentées et d’améliorer la résolution des cartes à 30 mètres, répondant ainsi aux exigences de l’agriculture de précision. Elle projette également de créer une plateforme nationale ouverte, regroupant données brutes et cartes dérivées, pour faciliter leur accès aux agriculteurs, chercheurs et décideurs, optimisant ainsi la gestion des ressources agricoles.
Les chercheurs (Yassine Bouslihim, Abdelkrim Bouasria, Ahmed Jelloul, Lotfi Khiari, Sara Dahhani, Rachid Mrabet et Rachid Moussadek) insistent sur le fait que la diffusion de ces cartes dans un dépôt de données ouvert permettra d’élargir leur utilisation, depuis l’amélioration de l’efficacité des fertilisations et la prévention des excès, jusqu’au soutien des stratégies de sécurité alimentaire et à la préservation environnementale via une gestion durable des ressources. Ce projet représente un modèle exemplaire que pourraient suivre d’autres pays africains, en particulier face aux enjeux du changement climatique et de la dégradation des terres.
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