Posted by - Senbookpro KAAYXOL -
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L’artiste authentique n’est pas celui qui réussit à reproduire indéfiniment une formule gagnante, (quantitativement en termes d’audimat et du box-office), car il est celui qui s’interroge sans cesse sur sa capacité à se « défaire » de ce qu’il a « déjà accompli ».
Il ne s’agit pas d’une quête de nouveauté formelle, mais d’un “écart fondamental” d’avec soi-même. C’est dans cette perspective que le philosophe contemporain “François Jullien” situe le geste artistique : non comme invention, mais comme “déplacement”: Une opération silencieuse et serein, qui rouvre le champ du sensible, du pensable et du dicible, dans ses moindres détails.
Dans sa “Critique de la faculté de juger” (1790), “Immanuel Kant” définit le jugement esthétique comme un jugement “sans concept”, c’est-à-dire détaché de toute finalité ou utilité. Le beau est ce qui plaît “sans concept ni intérêt” direct ou indirect. Cette autonomie du goût fait de l’artiste un être libre, dont la seule fidélité est envers son propre sentiment esthétique.
« Le beau est ce qui plaît universellement sans concept. » – Kant. Ainsi, lorsqu’un artiste, réalisateur, peintre, homme de théâtre ou musicien, s’efforce de plaire à un certain public – plaire à « tout le public » étant ne plus « être » – ou de répondre à un « marché », il quitte l’espace de l’art pour entrer dans celui d’une certaine efficacité qui se mesure aux gouts de l’autre. L’artiste authentique, au contraire, ose s’aventurer dans ce que Kant nomme la “liberté créatrice du génie”, capable de produire des règles à partir de lui-même, et d’une intériorité exceptionnelle et unique – la sienne.
Dans ses “Leçons sur l’esthétique” (1835), “Georg Wilhelm Friedrich Hegel”, considère l’art comme l’un des modes de manifestation de l’Esprit. Pour lui, l’œuvre d’art n’est pas une copie du réel – Copier est déformer – mais l’expression “sensiblement incarnée” d’une idée « spirituelle ». Chez Hegel, le beau, est la “vérité rendue sensible” : « L’art est la présentation sensible de l’idée. » – Hegel
Dans ce sens, les clips vidéo marocains englouties, majoritairement, dans une hybridité creuse et un collage stérile – Lamjarad, Benchlikha, et Ammour, pour ne citer que quelques uns des plus connues …. – et les séries télévisées marocaines qui imitent sans pertinence des modèles arabe, turques, du moyen orient, et internationaux ou rejouent à l’infini les mêmes dynamiques dramatiques, échouent à incarner une « pensée » – savent-ils ce que penser le visuel veut dire ? – ou un esprit local. Elles se contentent d’un “simulacre d’esthétique”, sans tension interne ni densité spirituelle. Nous assistons à une généralisation d’une aliénation artistique, aliénée, selon la pensée de l’École de Francfort.
Dans “Dialectique de la Raison” (1944), “Theodor Adorno” et “Max Horkheimer” critiquent la « culture de masse », définie comme une industrie produisant des objets culturels standardisés, destinés à maintenir l’ordre établi. « Ce qui se présente comme art populaire n’est qu’un anti-art standardisé, intégré à la logique du capital. » – Adorno. Le clip musical marocain, avec ses images formatées, ses représentations genrées répétitives, et ses chorégraphies interchangeables, devient ainsi un “instrument de distraction”, non de transformation. De même, les séries produites pour les périodes de grande audience (comme le Ramadan) cèdent souvent à la logique de la reproduction, plutôt qu’à celle de la subversion.
Philosophe de la Chine ancienne autant que critique du rationalisme occidental, “François Jullien” renouvelle la pensée esthétique en proposant une vision “non substantialiste” de la beauté. Dans “Éloge de la fadeur” (1991), et “Les transformations silencieuses” (2009), il soutient que le véritable geste artistique consiste non à innover, mais à “se déplacer hors de ce qui est établi”. « Créer, ce n’est pas inventer. C’est écarter : sortir du déjà-là, ouvrir un interstice dans le dicible. » – François Jullien
Pour Jullien, le “beau n’éblouit pas”, il “déplace”. Il ne cherche ni remplacement ni explosion de la forme déjà établie et stable, dans les réseaux de diffusion, et dans les esprits d’un consommateur otage, mais l’intensité de l’inaperçu et dans les fissures de l’impensé. Ainsi, une œuvre marocaine qui s’éloigne volontairement des formats commerciaux ou des esthétiques globalisées dominantes, (sans pour autant les rejeter mécaniquement), entre dans cet espace de « transformation silencieuse » où peut s’opérer un véritable surgissement esthétique.
a) “Cinéma marocain : entre fécondité marginale et standardisation”
Certains films récents comme « L’automne des pommiers » de M. Mouftakir, « Fatima la Sultane inoubliable » de M. A. Tazi, « Haut et fort » (Nabil Ayouch), “La mère de tous les mensonges” (Asmae El Moudir), ou encore « Les Meutes » de Kamal Lazraq, montrent une tentative de décalage ou d’ecartement des formes figées et stériles, essayant ainsi de rompre avec une linéarité narrative aliénée et aliénante. Ils proposent – ont-ils tous réussies ? – une langue visuelle distincte, et font émerger des voix marginales. Mais une partie importante du cinéma marocain reste enfermée dans le cercle d’un pseudo “réalisme social » attendu, souvent à destination de certains festivals.
b) “Clips musicaux : répétition visuelle et perte de sens”
La majorité des clips marocains sacrifient l’esthétique à la visibilité. Corps féminins, ou masculins, objectifiés, symboles ostentatoires (voitures, argent, bijoux mixés avec des accessoires, ustensiles, vêtements … authentiquement marocains), et rythmes percutants remplacent toute tentative de composition signifiante. L’image devient un outil de performance, d’émerveillement, ou de provocation impulsive, jamais de réflexion.
c) “Séries télévisées : narration creuse et effet miroir”
Les séries marocaines, bien que populaires, souffrent souvent d’un déficit d’expérimentation. Le langage est convenu, les intrigues sont prévisibles, et les conflits sociaux sont figés dans une forme de “réalisme sans risque”. Le spectateur y retrouve ce qu’il connaît déjà, non ce qu’il ne savait pas encore pouvoir ressentir.
Pour “François Jullien”, l’artiste véritable ne « crée » pas comme un démiurge mythique. Il “s’écarte”. Il fait trembler la forme, détourne la norme, et ouvre une faille dans le connu, consommé et stéréotypé. Il ne s’agit pas d’inventer de nouveaux objets, mais de créer une “altérité dans le champ du même” : « L’art ne produit pas une autre chose, il produit un autre rapport. » disait François Jullien.
L’artiste marocain qui assume cette tension – entre ce qui est attendu et ce qui est à risquer – peut dès lors proposer une œuvre qui, même sans éclat visible, contient une “puissance de subversion”. C’est cela que Kant appelait le « sublime » : ce qui dépasse les formes données, sans les détruire.
L’ère de créer en révolutionnant n’est plus car exigeant des contextes sociopolitiques impossible à reproduire dorénavant. La dimension ‘’rébellion’’ créative ne peut plus aboutir car aveuglée par l’anarchique, l’émotionnel, démunie de vision et de visibilité, et bloquée par l’esprit subsistentiel. Dé-coïncider sereinement et en silence, est le concept – exercice de terrain – pour opérer un écart dans le Habitus qui cache ses « fissures ».
*Écrivain, artiste et critique. Rédacteur en chef : Masrah Mag
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