Pour un citoyen marocain qui se plaint souvent, à juste titre, des lacunes et insuffisances du service médical public et privé dans son pays, regarder des séries médicales, qu’elles soient documentaires ou de fiction, peut sembler un luxe ou une perte de temps. Pourtant, ces productions, en exposant les méthodes, les défis et les dilemmes vécus par des systèmes de santé mieux organisés, permettent une comparaison éclairante. Elles donnent aussi à voir ce que pourrait être une médecine où le personnel est à la fois hautement qualifié et profondément dévoué, ce qui, malgré les contraintes structurelles, reste une qualité reconnue et réputée chez de nombreux médecins marocains.
Cette perspective ne remplace pas l’action concrète pour améliorer la réalité nationale, mais elle nourrit une conscience critique et une vision exigeante, en attendant l’activation du projet structurel et stratégique des services de la santé publique marocaine, décidée et annoncée par le Roi Mohammed VI.
Alors que la passion pour les séries devient aujourd’hui un phénomène de masse remplaçant en partie la cinéphilie traditionnelle – jadis associée à un raffinement esthétique et à une conscience civique – il est pertinent d’analyser comment deux formes audiovisuelles traitent la médecine : d’une part le documentaire britannique «Critical: Between Life and Death» (Netflix, 2025) et d’autre part la série américaine dramatique «The Resident» (2018–2023). Cet article compare leurs approches éthiques, narratives et politiques, en s’appuyant uniquement sur des faits vérifiables et des sources documentées.
Présentations factuelles
«Critical: Between Life and Death» est une série documentaire en six épisodes diffusée par Netflix en 2025, qui suit le système de traumatologie majeur de Londres sur plusieurs semaines, donnant un accès sans précédent aux équipes de secours, ambulanciers, chirurgiens et unités de réanimation. Les images proviennent de caméras fixes et mobiles, offrant un regard quasi cinématographique sur l’urgence médicale et sur la réalité d’un ensemble de professions imprégné de souffrance et de défis.
«The Resident» est une série de fiction dramatique américaine diffusée sur Fox entre 2018 et 2023 – sur Netflix actuellement – inspirée partiellement du livre «Unaccountable» de Marty Makary. La série met en scène la vie professionnelle et personnelle du personnel hospitalier de l’hôpital fictif Chastain Park Memorial, tout en explorant les tensions systémiques liées à l’administration hospitalière et à la marchandisation des soins, dans une réalité capitaliste cruelle, mais que des médecins au grand cœur peuvent changer des destins.
Modes narratifs et fonctions sociales
Le documentaire adopte un régime de vérité fondé sur l’observation: caméras embarquées, captations continues et témoignages directs. Ce régime sert une fonction civique et pédagogique: rendre visible le travail méconnu des premiers secours et fournir une matière factuelle au débat public. Les critiques spécialisées ont souligné le caractère immersif et le montage qui «retardent» parfois – en phase de montage – l’information sur l’issue des patients pour créer une tension narrative tout en restant ancré dans le réel. Ce genre de documentaire nécessite une équipe hautement qualifiée techniquement, et une réalisation en parfaite maîtrise, et du terrain et des péripéties de la médecine urgentiste.
La série dramatique, en revanche, privilégie la fiction comme outil d’argumentation morale. Les personnages deviennent des vecteurs d’une critique sociétale : la bureaucratie, les intérêts financiers, et le «medical-industrial complex» sont souvent incarnés par des antagonistes puissants. La force de la série réside dans sa capacité à mobiliser l’empathie et l’indignation, même si cela passe par la simplification et la dramatisation. L’interprétation des rôles par un casting soigneusement conçu assure une identification efficace pour les sériphiles.
Éthique professionnelle versus impératif marchand
Le documentaire montre des professionnels de santé engagés dans des gestes techniques et décisionnels où l’éthique de la sollicitude prime, malgré la pression du système de santé publique et les moyens qui restent limités par rapport au nombre des besoins et à la densité de Londres. Les organismes hospitaliers présents ont confirmé leur coopération pour montrer l’efficacité du système londonien en situations critiques.
La série dramatique met en lumière la tension entre la vocation médicale et la logique marchande. Inspirée par des textes dénonçant l’opacité et le manque de responsabilisation dans les hôpitaux, «The Resident» fait de la lutte contre la logique du profit un ressort narratif principal. Cela rejoint des analyses contemporaines sur le «complexe médico-industriel» capitaliste, qui dénoncent la priorisation du gain au détriment du soin, prétextant la qualité des services en parallèle avec la santé financière des hôpitaux.
Impact sur la conscience citoyenne et professionnelle
Le documentaire fournit une base empirique susceptible d’enrichir le débat public sur la gestion des urgences, la répartition des ressources et les conditions de travail des soignants. Le fait que la série suive des cas réels la rend potentiellement plus opérante pour une action civique informée.
La série dramatique, quant à elle, mobilise une indignation plus immédiate et émotionnelle qui peut stimuler la mobilisation populaire. Mais sa simplification narrative peut aussi produire des caricatures et empêcher la compréhension des mécanismes politiques et économiques complexes qui structurent le système de santé capitaliste.
Représentation du corps et de la vulnérabilité
Dans le documentaire, le corps est montré dans sa fragilité et son urgence, parfois de façon choquante, ce qui confronte le spectateur à la réalité matérielle de la médecine d’urgence. Cette représentation rappelle la notion foucaldienne du regard médical : le corps devient champ de savoir mais aussi d’intervention et de responsabilité. La série frôle à plusieurs reprises l’aspect mélodrame et le caractère héroïque individuel qui distingue la production audiovisuelle américaine.
Dans la fiction, le corps sert surtout le récit : blessures et opérations sont des déclencheurs dramatiques. La compassion est présente, mais la connaissance technique reste souvent secondaire au profit de l’intrigue et des enjeux moraux simplifiés, pour atteindre un grand public rentable en taux de visionnage.
«Critical: Between Life and Death» et «The Resident» offrent deux regards complémentaires sur la médecine moderne, dans des contextes où la structure publique de la santé est relativement développée et bien équipée : l’un documentaire et descriptif, l’autre fictionnel et critique. Le premier enrichit le débat public par des données empiriques et humaines ; le second mobilise l’émotion et la critique morale contre la marchandisation des soins. Pour une citoyenneté éclairée, il faut conjuguer ces deux registres : l’observation rigoureuse et la narration empathique. Même pour un spectateur marocain conscient des limites locales du système médical, ces œuvres peuvent rester des outils précieux de sensibilisation aux enjeux réels de la médecine, aux défis quotidiens qu’elle impose et aux luttes qu’elle incarne lorsqu’elle est portée par des soignants compétents et dévoués – une image dans laquelle beaucoup de médecins marocains continuent d’exceller.
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