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En octobre de l’année dernière, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a invalidé les accords commerciaux entre l’Union européenne et le Maroc, qui incluent le Sahara marocain, invoquant l’absence d’approbation du peuple sahraoui pour leur mise en œuvre.
Cette décision s’appuie sur l’avis consultatif rendu par la Cour internationale de justice (CIJ) en 1975, ce qui soulève des interrogations quant au fondement juridique de cet arrêt et à sa conformité avec les réalités historiques et politiques.
Si l’Algérie et le mouvement séparatiste du Polisario ont bien évidemment salué la décision de la Cour, le Maroc l’a dénoncée comme étant un « parti pris politique flagrant », estimant qu’elle perpétue des erreurs juridiques antérieures au lieu de les corriger. Rabat considère que cet arrêt s’inscrit dans une logique coloniale dépassée visant à affaiblir la souveraineté nationale plutôt qu’à favoriser la stabilité.
Cependant, la portée de cette décision dépasse le seul cas du Sahara marocain. Elle s’inscrit dans un cadre juridique plus large, marqué par des incohérences et une méconnaissance des réalités historiques de la région. Plutôt que de corriger les erreurs coloniales qui ont fragmenté les nations, les juridictions européennes semblent persister à soutenir des entités illégitimes, au mépris des conséquences humanitaires et juridiques de leurs arrêts.
La décision de la Cour de justice de l’Union européenne ne s’est pas produite en vase clos, mais constitue une prolongation de l’interprétation juridique adoptée par la Cour internationale de justice en 1975.
Dans son avis consultatif, la CIJ avait rejeté la revendication espagnole selon laquelle le Sahara marocain constituait un « terra nullius », reconnaissant l’existence de liens juridiques et d’allégeance entre les tribus sahraouies et le sultan du Maroc. Toutefois, la Cour avait estimé que ces liens ne suffisaient pas à établir une souveraineté marocaine pleine et entière, arguant de l’absence d’une administration directe du Maroc dans la région.
Cette conclusion est problématique, car elle impose une conception européenne moderne de la souveraineté à un contexte historique et géographique totalement différent. L’un des principaux écueils de cette décision réside dans son incapacité à prendre en compte le décalage temporel entre la période examinée (avant 1884, début de la colonisation espagnole) et l’année du jugement (1975).
Au XIXᵉ siècle, de nombreux pays africains, dont le Maroc, ne correspondaient pas au modèle d’État-nation moderne avec des institutions administratives fixes et des frontières établies. La souveraineté marocaine s’exerçait alors à travers un système d’allégeance, où les tribus prêtaient serment au sultan tout en conservant une certaine autonomie sous une unité politique plus large.
De plus, la Cour a appliqué un standard et concept européen moderne de l’État sans tenir compte du fait que les nations colonisées n’avaient pas eu l’opportunité de développer des structures administratives comparables à celles des pays européens. Le droit international, élaboré principalement pour gérer les conflits entre États européens après la Seconde Guerre mondiale, ne prenait pas en considération les spécificités des nations colonisées, dont les frontières avaient été arbitrairement redessinées par les puissances coloniales.
Cette problématique dépasse largement le cas du Sahara marocain et concerne de nombreux litiges frontaliers hérités de la colonisation. Tandis que l’Europe a surmonté ses divisions internes pour s’unifier économiquement, elle a laissé derrière elle des crises durables dans ses anciennes colonies, perpétuées par des décisions « juridiques » déconnectées des réalités sociopolitiques locales.
Si la CJUE applique le principe de l’autodétermination sans tenir compte du contexte historique, pourquoi ne l’applique-t-elle pas à des cas similaires en Europe ?
En 2017, la Catalogne a organisé un référendum démocratique sur l’autodétermination, où plus de 90 % des votants se sont prononcés en faveur de l’indépendance. Pourtant, le gouvernement espagnol a réprimé ce référendum et emprisonné ses dirigeants démocratiquement élus.
Cela soulève une contradiction majeure : pourquoi un référendum est-il encouragé pour le Sahara marocain, alors qu’il est interdit en Catalogne ? La différence majeure réside dans le fait que les représentants catalans ont été élus démocratiquement, tandis que les leaders du Polisario ne l’ont jamais été. Le Polisario n’a jamais organisé d’élections libres dans les camps qu’il contrôle et empêche les Sahraouis d’exprimer leurs opinions librement.
Pourquoi ce principe n’est-il appliqué qu’au Sahara marocain ? Cette contradiction démontre que le problème ne réside pas uniquement dans une application impartiale du droit international, mais également dans des jeux d’influence politique dictés par des intérêts géopolitiques et des alliances stratégiques.
La décision de la CJUE ne peut être dissociée de ses conséquences humanitaires. En validant cet arrêt, la Cour ne fait que prolonger le conflit et nourrir de faux espoirs aux dirigeants du Front Polisario, ce qui contribue à perpétuer la souffrance de milliers de Sahraouis bloqués dans les camps de Tindouf.
Des milliers de personnes y vivent dans des conditions précaires, utilisées comme outils politiques, privées du droit de retourner chez elles ou même d’être recensées selon les normes du droit international. Alors que de nombreuses ONG internationales ont documenté de graves violations des droits humains dans ces camps (répression de la dissidence, contrôle militaire algérien) la communauté internationale préfère fermer les yeux, tout en exerçant des pressions sur le Maroc, qui a pourtant investi massivement pour développer la région et améliorer les conditions de vie des Sahraouis.
Le philosophe Jeremy Bentham affirmait que les lois ne reflètent pas toujours la justice et peuvent parfois servir d’instruments d’injustice. John Stuart Mill distinguait entre les droits juridiques et les droits moraux, soulignant que la loi peut accorder des droits à ceux qui ne les méritent pas et en priver ceux qui y ont légitimement droit.
Dans cette logique, on pourrait affirmer que la décision de la CJUE, tout comme l’avis consultatif de la CIJ sur le Sahara marocain, ne repose pas sur un principe de justice, mais sur un cadre juridique erroné qui sert certains intérêts, sans égard aux conséquences humanitaires et politiques. La plus grande preuve de cette injustice est que, malgré la reconnaissance des erreurs de ces jugements, les grandes puissances n’ont pris aucune mesure concrète pour les corriger, offrant au Maroc un soutien limité, insuffisant pour rectifier les erreurs juridiques du passé.
Dans cette optique, on pourrait considérer que l’arrêt de la CJUE, à l’instar de l’avis consultatif de la CIJ, n’est pas fondé sur la justice, mais sur un cadre juridique biaisé qui sert des intérêts précis, au détriment des conséquences humaines et politiques.
L’arrêt récent de la CJUE ne constitue donc pas une simple décision juridique, mais s’inscrit dans une série de jugements qui ignorent la réalité du terrain et contribuent à perpétuer le conflit au lieu de le résoudre.
*Ecrivain-traducteur-critique culturel
The post Le dilemme juridique et éthique de la CJUE dans son arrêt sur le Sahara marocain appeared first on Hespress Français - Actualités du Maroc.