« Le 14 décembre 1962, trente-neuf (39) députés déposent une motion de censure contre le gouvernement.
Toutefois, le 17 décembre lors du vote de la motion, le Président DIA fait évacuer l’Assemblée nationale
par la garde républicaine et la gendarmerie ; 4 députés seront arrêtés. Précisons d’emblée que même
durant cette arrestation, le directeur de la gendarmerie de l’époque le lieutenant Ameth FALL a refusé
d’exécuter cet ordre sans réquisition ; "c’est le commandant de la garde républicaine, le commandant
Tamsir BA qui se chargera de l’exécuter". Ce qui était compréhensible puisque la mise en mouvement de
cette dernière n’était pas subordonnée à un formalisme préalable. Mais les militaires sénégalais, bien que
visiblement divisés, se rangeront finalement du côté de celui que la Constitution a désigné comme leur
chef : le Président de la République. Ainsi, les 4 députés seront libérés par les commandos avec le
capitaine Pereira ; et le 17 décembre les parachutistes procéderont à l’arrestation du Président du
conseil, mettant définitivement fin à 48 heures de crises qui auraient pu, sans la pondération des FDS,
plonger le Sénégal dans le chaos » (Cheikh SENE, L’implication des forces de sécurité et de défense dans
le processus de démocratisation de l’Etat au Sénégal, Thèse de doctorat, Université Cheikh Anta DIOP,
2019).
A mon sens, l’agencement constitutionnel des séquences subséquentes à la crise de décembre 1962
porterait à croire que le hasard existe quand rien n’est fortuit. L’histoire n’est pas toujours vraie ; elle est
parfois un mélange d’illusion et de cruauté.
Le présent hommage est pour nous l’occasion opportune de faire un détour historique pour dénouer un
passé constitutionnel jusque-là confié au silence et encastré dans l’oubli.
I. Une vérité sur le Père de l’indépendance
En septembre 1959, les dirigeants de la Fédération du Mali firent connaître leur décision d’accéder à
l’indépendance en application de l’article 78 de la Constitution française du 4 octobre 1958.
Le 13 septembre 1958 à Saint-Louis du Sénégal, le général de Gaulle reconnut l’existence de la
Fédération du Mali, et la vocation de celle-ci et des Etats qui la composent, à « accéder à la
souveraineté ».
Le premier texte fondamental du Sénégal régissant l’organisation constitutionnelle remonte, en 1959, à
travers la loi n° 59-003 du 24 janvier 1959 qui fut adoptée par l’Assemblée constituante du Sénégal dans
le cadre de la Fédération du Mali regroupant notre pays et la République soudanaise ou Soudan français
(actuel Mali).
Face à la marche résolue, pacifique et républicaine vers l’indépendance, des négociations s’ouvrirent à
Paris le 18 janvier 1960. Le 4 avril 1960, à Paris, les délégations de ces Etats et celle de la France signent
ou paraphent les accords dits de Paris portant dévolution des pouvoirs de la Communauté à la Fédération
du Mali (Modibo Keïta pour le Gouvernement soudanais et Mamadou DIA pour le Gouvernement
sénégalais). C’est cette date du « 4 avril » que la République du Sénégal a choisi pour célébrer, chaque
année, la fête nationale de l’indépendance, et non celle du 20 août coïncidant avec l’éclatement de la
Fédération du Mali.
Consécutivement au vol en éclat de la Fédération, notre pauys, à travers « la loi sénégalaise n° 60-01
A.L.S du 20 août 1960 (loi constitutionnelle) abrogeant toutes les lois et tous les décrets portant transfert
de compétences au profit de la Fédération du Mali ». Conséquemment, l’Etat du Sénégal se retire de cette
Fédération ouest-africaine et « proclame son indépendance » (article 3 de ladite loi).
La République du Sénégal se retire de la Fédération du Mail. Elle proclame son indépendance.
Au vu des hauts faits politiques accomplis par le Président du Conseil, Mamadou DIA, dans notre marche
pacifique vers l’indépendance nationale (conduite de la délégation officielle du Sénégal et signature des
accords de Paris du 4 avril 1960 marquant la date de l’Indépendance nationale ; promulgation des textes
constitutionnels à l’origine de l’indépendance du Sénégal), une interrogation jaillit de notre réflexion : à
qui reviendrait juridiquement le titre de Père-fondateur de la République du Sénégal, à côté du Père-
fondateur de la Nation sénégalaise ?
II. Les ressorts constitutionnels de la crise de 1962
Dans le contexte de la crise de 1962, une question délicate doit préoccuper l’esprit du constitutionnaliste :
le Président Léopold Sédar SENGHOR avait-il la faveur du droit en recourant au référendum du 3 mars
1963 ? Evidemment que oui, si l’on se réfère à la modification constitutionnelle du 18 décembre 1962 :
« Il est ajouté à la Constitution de la République du Sénégal un article 66 bis ainsi libellé :Par dérogation
aux dispositions des articles 25, 53 et 66 de la Constitution fixant les pouvoirs et les attributions du
Président du Conseil, le Chef de l’Etat devient Chef de l’Exécutif. Il peut soumettre au référendum un
projet de révision constitutionnelle, après avis du Président de l’Assemblée nationale, du Conseil des
ministres et d’une commission spéciale de l’Assemblée ».
Il faut noter, et c’est troublant, la coïncidence des actes constitutionnels avec l'arrestation du Président
Mamadou DIA qui s’en est sitôt suivie. En effet, par une réforme cavalière, exactement le 18 décembre
1962, la Constitution est révisée pour trouver ou justifier la base constitutionnelle à ce qui allait devenir,
dans l’imaginaire des juristes, une nouvelle Constitution alors qu’il ne s’agissait techniquement que d’une
« loi constitutionnelle » révisant la Constitution du 24 janvier 1959, à la suite de la révision
constitutionnelle du 26 août 1960.
L’hypothèse de l’empressement est vérifiée par l’enchaînement éclair des procédures : « L’Assemblée
nationale, après en avoir délibéré, a adopté en sa séance du 18 décembre 1962 à la majorité qualifiée des
3/5 », « Décret n° 62-193/PR du 18 décembre 1962 portant promulgation selon la procédure d’urgence de
la loi n° 62-62 portant modification de la Constitution ».
Cette révision de la Constitution est-elle finalement motivée par la crise du 17 décembre 1962 ou
préméditée pour l’anticiper ? En tout état de cause, elle n’intervient que dans les « 45 jours » qui suivent
le référendum du 28 octobre 1962 consacrant, en France, l’élection du Président de la République au
suffrage universel direct. Est-ce qu’une simple coïncidence temporelle ? Le doute est permis.
En outre, l’élection présidentielle était, avant 1962, le domaine réservé des Assemblées représentatives :
« Le Président de la République est élu pour sept ans par un collège électoral comprenant, d’une part, les
membres de l’Assemblée nationale et, d’autre part, un délégué par assemblée régionale et un délégué par
conseil municipal, réunis en congrès ». Sous ce prétexte politique, les citoyens, mis à l’écart du processus
de vote, ne participaient pas directement à l’élection présidentielle. La volonté populaire s’exprimait
indirectement à travers un collège électoral : une désignation de « seconde main », puis-je dire !
Par ailleurs, tirant les conséquences de la crise institutionnelle du 17 décembre 1962 et émoustillé par le
référendum du 28 octobre 1962 en France , le Président Senghor fait inscrire, lors du référendum
constitutionnel du 3 mars 1963, le principe du suffrage universel direct dans l’élection d...
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