Posted by - support -
on - 6 hours ago -
Filed in - Society -
-
4 Views - 0 Comments - 0 Likes - 0 Reviews
Les élections présidentielles américaines de 2024 se déroulent dans un contexte de polarisation politique marquée, qui reflète les divisions idéologiques et sociales au sein de la société américaine. Ce phénomène résulte de diverses dynamiques structurelles, telles que le « gerrymandering », l’évolution des médias, l’essor des réseaux sociaux, et un système de financement des campagnes électorales dominé par de grands donateurs. Ces facteurs ont contribué à redéfinir le paysage politique américain, renforçant les clivages et complexifiant la gouvernance. Cet article analyse ces mécanismes sous-jacents et explore leur impact sur les dynamiques politiques aux États-Unis, mettant en lumière les défis auxquels la démocratie américaine est confrontée dans ce contexte polarisé.
La campagne électorale des présidentielles américaines de novembre 2024 se déroule dans un climat de forte tension politique, révélant les fractures profondes qui traversent la société américaine. Cette polarisation, bien plus qu’une simple divergence d’opinions politiques, est devenue une caractéristique fondamentale de la dynamique électorale américaine, transformant chaque échéance en un affrontement idéologique intense entre deux visions opposées de l’Amérique. Ce phénomène ne s’est pas développé en vase clos, mais est le résultat d’une série de dynamiques structurelles, institutionnelles et médiatiques qui ont progressivement redéfini le paysage politique américain.
Au cœur de cette radicalisation se trouve le ‘’gerrymandering’’1, une pratique qui consiste à redécouper les circonscriptions électorales de manière à garantir des majorités sûres pour un parti. Ce processus, en assurant la réélection quasi-certaine des candidats dans des districts où la compétition électorale est affaiblie, a déplacé l’enjeu des élections vers les primaires, où les candidats sont désormais incités à adopter des positions de plus en plus radicales pour s’assurer le soutien de leurs bases respectives. Le résultat est une élite politique qui s’enferme dans ses œillères partisanes, et se trouve incapable de trouver des compromis sur plusieurs questions.
Cette situation est exacerbée par un écosystème médiatique de plus en plus fragmenté. Les médias partisans, et les réseaux sociaux en particulier, jouent un rôle central dans l’amplification des divisions idéologiques. À travers des mécanismes sophistiqués de filtrage algorithmique, ces plateformes créent des « chambres d’écho » où les individus sont exposés à des informations qui confirment leurs croyances préexistantes, renforçant ainsi leur aversion pour le camp opposé. Cette dynamique, en encourageant la diffusion de contenus partisans amplifie les discours radicaux et contribue à solidifier les clivages au sein de la société.
De surcroit, le système de financement des campagnes électorales, dominé par les Super PACs2 et les grands donateurs, a joué un rôle central dans l’intensification de ces divisions. Depuis la décision ‘’Citizens United v. FEC’’ en 2010, l’afflux massif de contributions privées a accru l’influence d’une « élite » sur le processus politique, incitant les candidats à adopter des positions rigides pour garantir leur soutien financier. Cette dépendance aux grands donateurs a éloigné les élus des positions modérées, rendant le compromis politique de plus en plus inatteignable.
Dans ce contexte, la campagne présidentielle de 2024 ne se contente pas de refléter ces dynamiques ; elle les amplifie, posant des défis majeurs pour l’avenir du système démocratique américain.
Dans cet article, nous nous proposons d’examiner les mécanismes sous-jacents à cette polarisation, en explorant le rôle du ’’gerrymandering’’, des médias partisans, des réseaux sociaux, de l’Intelligence artificielle et du financement électoral dans l’évolution des dynamiques politiques aux États-Unis. En analysant ces facteurs, nous chercherons à comprendre comment ces éléments interagissent pour transformer le paysage politique américain.
Une polarisation politique, symbole d’une société américaine fracturée
Historiquement, la polarisation politique aux États-Unis a toujours été caractérisée par une divergence croissante entre les idéologies des deux principaux partis. Les Démocrates ont progressivement adopté des positions plus libérales, défendant des politiques dites progressistes sur des questions telles que la justice sociale, les droits des minorités et la lutte contre le changement climatique. En revanche, les Républicains ont renforcé leur attachement à une idéologie conservatrice, privilégiant la réduction du rôle de l’État, la défense des valeurs traditionnelles et une politique étrangère orientée vers la protection des intérêts nationaux.
Cependant, ce contraste idéologique a évolué pour englober ce que plusieurs observateurs appellent aujourd’hui la « polarisation affective ». Cette forme dépasse la simple divergence d’opinions pour inclure une forte dimension émotionnelle et sociale. Comme le montrent Finkel et al. (2020), la « polarisation affective » se manifeste par un sentiment d’aversion croissante entre les partisans des deux camps, associé à une perception de l’autre camp comme étant non seulement différent, mais moralement « déviant ».
Le phénomène de « l’altérisation » (othering), où les membres du parti opposé sont perçus comme fondamentalement étrangers, où les différences politiques sont interprétées en termes de bien et de mal, ont radicalement transformé les relations inter-partisanes, et renforcé le gap entre deux États-Unis qui s’affrontent désormais.
Le fossé idéologique et affectif qui caractérise la politique américaine contemporaine est le résultat d’une évolution complexe, où les divergences d’opinions politiques ont progressivement cédé la place à une lutte entre deux visions opposées de l’Amérique et du monde. Cette dynamique est enracinée dans des facteurs structurels tels que le redécoupage des circonscriptions électorales, qui a favorisé la création de districts dits « safe » pour chaque parti, renforçant ainsi l’enracinement partisan et réduisant la compétitivité électorale (Mann & Ornstein, 2016).
La nature présidentielle du système politique américain, où le vainqueur « prend tout », participe à l’aggravation de ce phénomène, transformant chaque élection en un affrontement existentiel perçu comme un « jeu à somme nulle » par les partisans des deux partis (Jacobson, 2016). Cependant, pour le comprendre pleinement, il est important d’examiner les forces qui l’alimentent et la radicalisent davantage.
Les médias partisans, la radicalisation des élites politiques, et la transformation de l’écosystème médiatique jouent un rôle central dans l’exacerbation des divisions idéologiques et affectives au sein de l’électorat américain (Levendusky, 2013). Ces dynamiques ne se contentent pas de polariser la politique intérieure, mais elles influencent également la manière dont les États- Unis interagissent avec le reste du monde, en façonnant une politique étrangère marquée par des incohérences et une instabilité accrue.
La polarisation politique qui domine la société américaine contemporaine se reflète de manière particulièrement aiguë dans le contexte des élections de 2024. Alors que cette échéance électorale se rapproche, les divisions idéologiques et affectives qui séparent les Américains semblent atteindre un point de non-retour, transformant la campagne en un véritable champ de bataille politique. Les candidats, conscients de ces fractures, exploitent ces divisions pour mobiliser leur base, aggravant ainsi les tensions et creusant encore davantage le fossé entre deux ‘’USA’’.
Les récents événements, comme l’attentat manqué contre le candidat républicain Donald Trump, survenu le 13 juillet 2024, illustrent la manière dont ces divisions ont redéfini le paysage politique américain. L’attentat contre Trump a renforcé chez ses partisans un sentiment d’injustice et de persécution, consolidant l’idée que leur candidat est victime d’une conspiration politico-médiatique. Ce sentiment alimente une dynamique de radicalisation au sein du camp républicain, où toute tentative de compromis est désormais perçue comme une trahison.
De l’autre côté, l’aile gauche du parti démocrate semble de plus en plus prégnante au sein du débat partisan et pousse le « ticket démocrate » à adopter des positions de plus en plus « progressistes » et, par conséquent, éloignées du « camp modéré ».
Par ailleurs, l’environnement médiatique fragmenté dans lequel se déroulent ces élections joue un rôle central dans le renforcement de ces dissensions. Les électeurs américains, de plus en plus confinés dans des chambres d’écho idéologiques, sont exposés à des narratifs qui renforcent leurs convictions préexistantes et accroissent leur aversion pour le camp opposé.
Les plateformes de médias sociaux, en particulier, favorisent la diffusion de contenus polarisants, renforçant ainsi les divisions idéologiques et émotionnelles. Cette dynamique médiatique non seulement amplifie les différences entre les camps politiques, mais renforce également la perception selon laquelle les élections de 2024 constituent un tournant décisif pour l’avenir du pays.
Dans ce climat extrême, les défis qui attendent le prochain président, ou la prochaine présidente, des États-Unis, seront considérables. Gouverner un pays très divisé, où une partie significative de l’électorat pourrait remettre en question la légitimité même de l’élection, s’annonce comme une tâche ardue. Cette situation complique également la formation de coalitions bipartisanes, rendant d’autant plus difficile l’adoption de politiques publiques efficaces.
Les implications pour la politique étrangère sont tout aussi préoccupantes : un président perçu comme trop polarisant pourrait avoir du mal à représenter les États-Unis de manière crédible sur la scène internationale, affaiblissant ainsi la position du pays dans un contexte géopolitique de plus en plus complexe et instable.
Pour mieux approcher cet état de choses et ses répercussions, il est indispensable d’examiner les moteurs qui l’alimentent.
Les médias partisans, la radicalisation des élites politiques, et la transformation de l’écosystème médiatique jouent tous un rôle crucial dans l’intensification des divisions idéologiques et affectives au sein de l’électorat américain. Ces forces, qu’il convient d’analyser, contribuent non seulement à approfondir l’abîme dans la politique intérieure, mais influencent également la manière dont les États-Unis interagissent avec le reste du monde. Cette exploration des moteurs de la polarisation est essentielle pour appréhender les défis auxquels les États-Unis sont confrontés, tant sur le plan national qu’international.
Si la présente publication s’intéresse au cas particulier des États-Unis, il convient de noter que cette dynamique ne se limite pas aux frontières américaines. Plusieurs pays à travers le monde voient émerger des mouvements qui exacerbent les divisions idéologiques (Mudd, 2019). En Europe, plusieurs démocraties connaissent un affaiblissement des partis traditionnels au profit de mouvements tenant des discours plus radicaux et tranchés.
De la même manière, l’Amérique latine a connu la montée de figures clivantes (Brésil, Argentine). Les crises économiques, les réseaux sociaux et le flux d’informations jouent un rôle clé en amplifiant les divisions à travers « les chambres d’écho idéologiques », exacerbant les clivages politiques et limitant les possibilités de consensus.
La polarisation croissante qui caractérise le paysage politique américain contemporain trouve ses racines dans plusieurs facteurs structurels et institutionnels. Parmi ceux-ci, le rôle des médias partisans et la radicalisation des élites politiques sont particulièrement significatifs. Ces moteurs, non seulement intensifient les divisions idéologiques, mais transforment également les divergences politiques en un conflit de plus en plus émotionnel et affectif, avec des conséquences profondes pour la démocratie américaine.
Le rôle des médias partisans
L’évolution de l’écosystème médiatique américain a joué un rôle central dans l’intensification de la polarisation politique. Historiquement, les médias de masse, régulés par la ‘’Fairness Doctrine‘’3 jusqu’à son abrogation en 19874, avaient pour obligation de présenter des points de vue équilibrés sur les questions controversées. Cette régulation visait à garantir une diversité d’opinions et à limiter l’influence des biais partisans dans l’information publique (Levendusky, 2013). Cependant, avec l’abandon de cette doctrine, les médias américains ont progressivement évolué vers des formats de plus en plus partisans, donnant naissance à un environnement où les informations sont souvent filtrées à travers des prismes idéologiques étroits.
Des chaînes comme Fox News et MSNBC, qui se sont spécialisées dans la diffusion de contenus orientés à droite, pour la première, et à gauche, pour la deuxième, ont largement contribué à la fragmentation de l’audience en cultivant des communautés d’auditeurs idéologiquement homogènes (Jamieson & Cappella, 2008). Ces médias partisans ne se contentent pas de relater les faits ; ils les interprètent et les encadrent de manière à renforcer les croyances existantes de leur audience. Ce phénomène, connu sous le nom de « chambre d’écho », amplifie le compartimentage en limitant l’exposition des individus à des perspectives divergentes (Sunstein, 2009).
Étude de cas: la couverture des procès Trump illustre les biais médiatiques
La campagne électorale nourrit activement la polarisation et son enracinement dans les dynamiques électorales actuelles.
L’impact des médias partisans est particulièrement visible dans la manière dont la campagne est couverte. À titre d’exemple, des chaînes identifiées comme pro- Républicaines ont consacré une couverture extensive et souvent défensive aux enquêtes judiciaires visant Donald J. Trump, présentant le plus souvent ces enquêtes comme des « cabales politiques » à l’encontre du candidat du parti. Tandis que d’autres, identifiées comme démocrates, ont décrit ces enquêtes comme essentielles pour la préservation de l’État de droit et la démocratie.
Cette divergence dans la couverture médiatique ne fait qu’accentuer les divisions idéologiques des électeurs, créant deux réalités parallèles où chaque camp se conforte dans ses propres croyances, illustrant de fait le phénomène de « chambre d’écho idéologique » décrit en amont, où l’exposition sélective à des informations alignées sur ses propres convictions renforce l’intensité des opinions et alimente la polarisation.
L’ombre numérique: réseaux sociaux et fractures du débat public
L’essor des réseaux sociaux a modifié en profondeur les dynamiques de la polarisation politique aux États-Unis, exacerbant les scissions idéologiques par des mécanismes sophistiqués d’amplification algorithmique et de radicalisation des discours. Les plateformes telles que Facebook et X (anciennement Twitter) utilisent des algorithmes conçus pour maximiser l’engagement des utilisateurs, favorisant ainsi la promotion de contenus qui suscitent des réactions émotionnelles intenses.
Ces contenus polarisants, souvent chargés idéologiquement, sont plus susceptibles d’engendrer des interactions prolongées, augmentant ainsi leur visibilité et leur diffusion. Comme l’ont démontré Allcott et Gentzkow (2017), cette dynamique crée des « chambres d’écho » où les utilisateurs sont principalement exposés à des informations qui renforcent leurs croyances préexistantes, tout en réduisant leur exposition à des perspectives divergentes.
L’étude de Fujiwara, Müller et Schwarz (2020) renforce cette analyse en montrant que l’exposition à Twitter a significativement réduit la part des voix d’un parti au profit de l’autre lors de l’élection présidentielle de 2016, en particulier parmi les électeurs indépendants et modérés. Ce phénomène est accentué par l’effet de ces algorithmes qui privilégient la visibilité des tweets aux contenus polarisants, augmentant ainsi leur capacité à influencer les opinions politiques.
En effet, l’impact des réseaux sociaux ne se limite pas à la simple diffusion de l’information, mais modifie également la structure même du discours public. Comme le montrent Bakshy, Messing, et Adamic (2015), les algorithmes des plateformes de réseaux sociaux favorisent la popularité de contenus déjà largement partagés au sein d’une communauté d’utilisateurs, renforçant ainsi l’exposition à des informations biaisées.
Ce mécanisme d’amplification algorithmique solidifie les croyances partisanes, et conduit à une radicalisation progressive des opinions. Levy et Razin (2019) soulignent que les utilisateurs, en étant continuellement exposés à des informations unilatérales, sont poussés vers des positions de plus en plus extrêmes, rendant le dialogue de plus en plus difficile.
Par ailleurs, l’influence des réseaux sociaux sur les résultats électoraux est également étudiée par la manière dont ces plateformes transforment le débat public. Les réseaux sociaux facilitent l’émergence de discours polarisés et réduisent la capacité des citoyens à engager des discussions nuancées et rationnelles. Les études montrent que cette polarisation du discours en ligne a des effets directs sur la qualité de la démocratie, car elle empêche la formation de consensus et la résolution pacifique des conflits politiques.
En somme, les réseaux sociaux, en favorisant l’amplification algorithmique des contenus polarisants, transforment la manière dont les informations sont consommées et partagées, tout en modifiant les structures du débat public. Toutefois, il est important de noter que le rôle des réseaux sociaux dans la polarisation politique ne se limite pas à l’amplification algorithmique des contenus. Il s’étend également à la diffusion massive de désinformation. En renforçant les biais cognitifs et en créant des réalités alternatives, la désinformation diffusée en ligne contribue à l’ancrage de narratifs opposés.
Tandis que les algorithmes maximisent l’engagement des utilisateurs en favorisant les contenus émotionnellement chargés, la désinformation prospère dans cet environnement, transformant les perceptions publiques et sapant la confiance dans les institutions démocratiques. Ainsi, la combinaison de ces dynamiques algorithmiques et de la propagation des fausses informations constitue un défi majeur pour la résilience démocratique, particulièrement dans le contexte des élections de 2024, où la polarisation du débat public atteint des niveaux sans précédent.
En effet, la désinformation, diffusée à grande échelle sur les réseaux sociaux constitue un facteur déterminant dans l’accentuation de ce phénomène, fragilisant la cohésion sociale. Les ‘’fake news’’, caractérisées par leur nature sensationnaliste et souvent émotionnellement chargée, se propagent plus rapidement et plus largement que les informations vérifiées, renforçant les biais cognitifs et les préjugés des utilisateurs.
Une étude menée par Vosoughi, Roy et Aral (2018) dans Science a révélé que les fausses informations circulent environ six fois plus vite que les vérités sur X (anciennement Twitter), en particulier lorsqu’elles touchent à des sujets politiquement sensibles. Les algorithmes favorisent les contenus susceptibles de générer de fortes réactions émotionnelles, ce qui inclut souvent des informations fausses ou trompeuses. En conséquence, les utilisateurs sont exposés de manière disproportionnée à des récits erronés qui renforcent leurs croyances existantes, contribuant ainsi à l’enracinement de narratifs opposés au sein de l’électorat.
Ce phénomène est accru par ce que les chercheurs appellent le « biais de confirmation ». Pennycook et Rand (2019) ont démontré que les utilisateurs des réseaux sociaux sont plus enclins à croire et à partager des informations qui confirment leurs opinions préexistantes, indépendamment de la véracité de ces informations.
Ce biais cognitif est renforcé par la structure des réseaux sociaux, qui privilégie la rapidité de la diffusion au détriment de la vérification des faits. Ainsi, la désinformation ne se contente pas de se propager plus rapidement que les vérités ; elle s’enracine également plus profondément dans les perceptions des utilisateurs, créant des schismes idéologiques plus difficiles à combler.
Son impact sur les perceptions publiques est profond. Comme le souligne une étude de Nyhan et Reifler (2010), une exposition continue à des informations fausses ou trompeuses peut non seulement distordre la perception des faits, mais aussi renforcer les croyances erronées même après la correction de ces fausses informations. Ce phénomène, appelé « l’effet retour de flamme » (backfire effect), se produit lorsque la correction des fausses informations renforce paradoxalement les croyances initiales des individus, augmentant ainsi la polarisation.
Dans un contexte électoral, où les enjeux sont perçus comme existentiels, cet effet peut entraîner des conséquences particulièrement délétères, en renforçant notamment les divisions au sein de l’électorat, ou en conduisant à des campagnes électorales négatives, où chaque candidat présente « l’Autre » comme l’émanation du pire.
La polarisation amplifiée par la désinformation a également des répercussions sur la confiance dans les institutions démocratiques. L’étude de Guess, Nyhan, et Reifler (2018) a montré que l’exposition répétée à des ‘’fake news’’ peut éroder la confiance dans les médias traditionnels et dans les institutions politiques, car les individus deviennent de plus en plus sceptiques quant à la possibilité d’obtenir des informations fiables.
Ce scepticisme alimente la fragmentation, car les utilisateurs se tournent vers des sources d’information alternatives, souvent partisanes, qui renforcent leurs croyances préexistantes. Cette dynamique crée un cercle vicieux où la désinformation affaiblit la confiance dans les institutions, ce qui, à son tour, alimente davantage la polarisation et la diffusion de fausses nouvelles.
Lors de l’élection présidentielle de 2020, la fausse information selon laquelle des millions de votes illégaux avaient été comptés pour Joe Biden s’est propagée massivement sur Facebook et Twitter. Malgré la vérification des faits, cette affirmation s’est renforcée parmi les partisans de Donald Trump, soutenue par les algorithmes des réseaux sociaux qui privilégient les contenus émotionnels. Ce phénomène a conduit une partie de l’électorat républicain à croire fermement que l’élection avait été « volée ».
L’Intelligence artificielle et le microciblage politique: vers une fragmentation radicale de l’électorat ?
L’utilisation de l’Intelligence artificielle dans le microciblage des publicités politiques a considérablement transformé les dynamiques des campagnes électorales, ajoutant une couche complexe à la polarisation déjà exacerbée par les réseaux sociaux. Le cas de Cambridge Analytica lors des élections présidentielles de 2016 illustre comment ces technologies peuvent être exploitées pour manipuler l’opinion publique à grande échelle, en renforçant les divisions idéologiques et en fragmentant l’électorat en groupes isolés.
Ces techniques avaient joué un rôle central dans la campagne présidentielle de Donald Trump en 2016. Grâce à l’exploitation massive de données personnelles récoltées via Facebook, la campagne de Donald Trump a pu créer des profils psychologiques détaillés de millions d’électeurs américains. Ces profils ont ensuite été utilisés pour diffuser des publicités hyper-ciblées, conçues non seulement pour mobiliser les soutiens de Trump, mais aussi pour démobiliser les électeurs démocrates en amplifiant leurs doutes et leurs craintes. Cette approche, appelée « psychographic targeting », repose sur l’idée que des messages personnalisés peuvent être plus efficaces lorsqu’ils sont adaptés aux caractéristiques psychologiques spécifiques des individus, comme leurs peurs, leurs espoirs, ou leurs préjugés.
L’impact de cette stratégie sur la polarisation a été significatif. En diffusant des messages différents à divers segments de la population, le microciblage, grâce à l’IA, pourrait contribuer à la création de réalités parallèles, dites alternatives, où les électeurs de différents bords politiques seraient exposés à des versions radicalement différentes des événements et des enjeux de la campagne. Cette fragmentation de l’espace public pourrait non seulement renforcer les divisions existantes, mais également contribuer à l’ancrage de fausses croyances et à aggraver les tensions sociales (Tufekci, 2018).
Cela illustre comment le microciblage basé sur l’IA peut non seulement mobiliser des groupes spécifiques d’électeurs, mais aussi manipuler leur perception de la réalité politique.
En 2024, l’application de ces technologies devrait encore approfondir la polarisation en exploitant les divisions existantes.
Lors des primaires républicaines de 2024, les équipes de Ron DeSantis ont utilisé l’IA pour générer des images montrant Donald Trump enlaçant Dr Anthony Fauci, une figure peu appréciée de l’électorat conservateur. En utilisant ce « deepfake »6, les équipes de l’ancien candidat ont cherché à amplifier les tensions existantes dans le camp républicain.
Aussi, le Comité National Républicain a eu recours à l’IA pour générer des vidéos présentant des scénarios dystopiques en cas de victoire des démocrates, et cherchant à provoquer la peur et l’inquiétude parmi les électeurs indépendants.
Il apparait que les médias partisans, l’impact des réseaux sociaux et l’utilisation croissante du microciblage basé sur l’IA, qui fragmentent l’espace public en diffusant des messages différents à des segments spécifiques de la population, s’inscrivent dans une tendance plus large qui traverse la société américaine.
Cette fragmentation, qui encourage les divisions et ancre des perceptions divergentes de la réalité, se nourrit également d’un autre phénomène majeur : la radicalisation des élites politiques. Ce processus, amplifié par des dynamiques institutionnelles telles que le « gerrymandering », contribue à renforcer les postures idéologiques extrêmes au sein des élites, intensifiant ainsi la polarisation dans le paysage politique américain.
Les élites politiques américaines: Du « Gerrymandering » à l’influence des « Super PACs »
La radicalisation des élites politiques américaines est un processus complexe qui s’inscrit dans une série de dynamiques institutionnelles et électorales. Le ‘’gerrymandering‘’, qui permet de créer des districts électoraux sûrs pour un parti, joue un rôle central dans ce phénomène. En garantissant une majorité confortable dans certains districts, il réduit la nécessité pour les candidats de rechercher des soutiens au-delà de leur base électorale. Par conséquent, l’enjeu électoral se déplace vers les primaires, où la candidature se joue souvent à l’intérieur du parti plutôt qu’entre partis.
Ce phénomène a été particulièrement visible lors des élections de mi-mandat de 2010, où la création de districts sûrs a favorisé l’émergence de candidats issus de l’aile la plus conservatrice du Parti républicain, notamment ceux soutenus par le mouvement ‘’Tea Party‘’7, qui ont rapidement imposé des exigences radicales au sein du Congrès (Abramowitz, 2010), et qui se sont depuis renforcés en prenant le contrôle du ‘’Grand Old Party‘’8 grâce à l’émergence du mouvement ‘’MAGA’’9 porté par Donald Trump et ses militants.
Le comportement des élites politiques dans ce contexte est également influencé par la nécessité de maintenir le soutien de bases électorales poussées elles-mêmes vers plus de radicalité. Dans des districts où la réélection est quasi-assurée, les élus n’ont aucune incitation à modérer leurs positions, craignant plutôt des défis internes lors des primaires s’ils ne restent pas fidèles à une ligne dure.
C’est le cas notamment du « Freedom Caucus », un groupe de membres ultra-conservateurs de la Chambre des Représentants, qui a constamment poussé le leadership républicain vers des positions de plus en plus à droite, paralysant ainsi de nombreuses initiatives législatives et exacerbant les divisions au sein du Congrès (McCarty, Poole & Rosenthal, 2006).
La conséquence de cette radicalisation est une gouvernance de plus en plus dysfonctionnelle, marquée par l’incapacité à trouver des compromis sur des questions importantes. Un exemple en est l’arrêt des activités gouvernementales en 2013, où les Républicains du Congrès, sous la pression de leur base radicalisée, ont refusé tout compromis sur le budget à moins que des concessions significatives ne soient faites sur l’’’Affordable Care Act’’10, illustrant ainsi l’impasse créée par des positions intransigeantes (Mann & Ornstein, 2012).
Quand la radicalité des élus paralyse le Congrès américain
En janvier 2023, le Parti républicain a pris le contrôle de la Chambre des Représentants mais a eu besoin, pour la première fois, de 4 jours et de 15 tours de scrutin pour élire un Président de la Chambre, en la personne de Kevin McCarthy. Le 2 octobre 2023, la frange la plus radicale des élus républicains, menés par le député Matt Gaetz, a soumis une motion de destitution à l’encontre dudit président et, grâce aux votes démocrates et ceux des élus « trumpistes », a réussi à l’évincer 24h plus tard.
La chute de Kevin McCarthy, la volonté des Républicains de lancer une procédure de destitution à l’encontre du Président Biden, la forte opposition au financement de la guerre en Ukraine, et les déchirements sur des questions de société tels que l’immigration et l’avortement sont autant de points qui ont émaillé la vie au Congrès américain, en faisant peser sur la politique américaine les relents de deux ’’USA’’ devenus irréconciliables.
Cette radicalité trouve son prolongement dans la rhétorique des candidats à l’élection présidentielle en cours, dont le discours tend à renforcer le sentiment de « dangerosité de l’Autre », dans un moment présenté comme fatidique.
Les grands donateurs et les « Super PACs », sponsors de la polarisation politique américaine
Le financement des campagnes électorales aux États-Unis a contribué de manière significative au phénomène étudié. Depuis la décision « Citizens United v. FEC » en 2010, le paysage électoral a été profondément modifié par l’afflux de contributions indépendantes, souvent provenant de « Super PACs », financés par une petite élite de donateurs. Ces entités, qui peuvent collecter des fonds sans limite pour soutenir ou s’opposer à un candidat, ont accru l’influence de ces donateurs sur le processus politique, ainsi que sur la perception des électeurs.
À titre d’illustration, en 2016, seulement 0,01 % des donateurs étaient responsables de 40 % des contributions électorales totales. Ces grands donateurs, souvent motivés par des agendas idéologiques particuliers, incitent les candidats à adopter les positions qui sont les leurs, afin de sécuriser le soutien financier essentiel pour leurs campagnes.
Cette dépendance accrue des candidats envers les contributions idéologiquement motivées a éloigné les élus des positions modérées. Contrairement aux petits donateurs, qui représentent une large base électorale, les grands donateurs se concentrent souvent sur des questions spécifiques, des « sujets de niche » sur lesquels ils exigent des engagements fermes de la part des candidats pour maintenir leur soutien. (Mayer, 2016).
Dans ce cadre, La Raja & Schaffner (2015) ont démontré que les États avec des réglementations plus souples en matière de financement des campagnes ont des législatures plus polarisées, tandis que ceux avec des restrictions plus strictes voient une polarisation moindre. Ce phénomène est renforcé par la réduction de la capacité des élus à représenter l’ensemble de leurs électeurs, car leur survie politique dépend de leur capacité à attirer des financements substantiels de la part de ces grands donateurs.
En outre, la concentration des financements dans les mains de quelques grands donateurs a contribué à renforcer la division idéologique au sein du Congrès, rendant les compromis de plus en plus difficiles. Cela a affaibli la capacité des institutions démocratiques à fonctionner efficacement, puisque les élus se trouvent piégés dans un cycle où ils doivent adopter des positions de plus en plus extrêmes pour assurer leur financement et leur réélection (Levitsky & Ziblatt, 2018).
Les conséquences du système de financement des élections aux États- Unis
Le système de financement des élections aux États-Unis crée une dépendance aux contributions privées et ouvre la porte aux influences des « Super PACs », posant la question de l’équité du jeu démocratique et de l’indépendance de l’opération électorale. Un des effets directs de cette dépendance se ressent dans la rhétorique des candidats, qui, poussés par la puissance de leurs soutiens et/ou de leurs détracteurs, adoptent un discours moins modéré.
Jusqu’en mars 2024, environ 61% des fonds collectés par les candidats républicains et démocrates provenaient de grands donateurs, dont une large partie est canalisée par les « Super PACs ».
Les élections présidentielles de 2024 se déroulent dans un contexte de polarisation politique extrême qui ne reflète pas seulement, mais surtout exacerbe les fractures profondes du paysage politique américain. Ce phénomène, qui prend racine dans des dynamiques structurelles telles que le » gerrymandering » et est amplifié par l’évolution des médias partisans, a radicalement transformé le spectre politique aux États-Unis.
Les campagnes électorales, désormais dominées par les « Super PACs » et les grands donateurs, ont contribué à l’éloignement progressif des positions modérées au sein du Congrès, accentuant les divisions idéologiques et rendant les compromis de plus en plus rares.
À court terme, cette fragmentation et cette polarisation risquent d’entraîner des conséquences directes sur le scrutin du 5 novembre 2024. Le risque de délégitimation du processus électoral est accumulé, notamment si une partie significative de l’électorat perçoit les résultats comme biaisés ou manipulés. . Ce climat de méfiance pourrait conduire à des contestations des résultats, aggravant la crise de confiance dans les institutions démocratiques. Le vote pourrait également être affecté par une participation plus faible de certains segments de l’électorat, démobilisés par l’extrême polarisation ou par un sentiment de désenchantement vis-à-vis du processus politique.
À plus long terme, cette polarisation pourrait transformer durablement le paysage politique américain. La fragmentation actuelle s’institutionnaliserait, rendant le système politique de plus en plus binaire et rigide. Les élites politiques, sous l’influence croissante des donateurs idéologiques motivés, continuaient à adopter des positions toujours plus radicales, exacerbant l’incapacité du Congrès à gouverner, et la Maison-Blanche à rassembler. La possibilité de voir émerger des tiers-partis ou des mouvements politiques alternatifs pourrait croître, bien que leur succès soit limité par le système électoral majoritaire en place.
La campagne en vue de l’élection présidentielle de 2024 ne fait pas que refléter les divisions actuelles ; elle les amplifie et contribue à redessiner l’ensemble du spectre politique américain. Cette dynamique pose des défis pour l’avenir du système démocratique américain, à court terme, et pour la stabilité et l’efficacité du mode de gouvernance américain, à plus long terme.
*Spécialiste en Relations Internationales au PCNS
The post Les élections présidentielles de novembre 2024 révèlent des fractures du paysage politique américain appeared first on Hespress Français - Actualités du Maroc.