Réunis le 17 décembre à la Faculté des Lettres et des Sciences humaines d’Oujda, près d’une centaine de chercheurs, décideurs publics, experts de l’eau, représentants d’ONG et étudiants ont dressé un constat sans détour : le Site d’Intérêt Biologique et Écologique (SIBE) de la Moulouya, l’un des sanctuaires naturels les plus précieux du Maroc oriental, est aujourd’hui menacé par une combinaison de pressions climatiques et anthropiques qui en fragilise profondément les équilibres.
Ce séminaire scientifique, organisé par l’association Espace de Solidarité et de Coopération de l’Oriental (ESCO) dans le cadre d’un projet financé par l’ambassade de France au Maroc, visait à renforcer les capacités nationales autour de la préservation de la biodiversité aquatique et du débit écologique du fleuve. Autour d’ESCO, un consortium large avait été mobilisé : universités, agences de l’eau, associations environnementales et chercheurs spécialisés.
Dès l’ouverture, le doyen de la Faculté des Lettres a rappelé l’urgence : la Moulouya, dont l’embouchure est classée site Ramsar, montre des signes de dégradation accélérée. « Il faut analyser tous les facteurs et proposer des solutions réalistes », a-t-il exhorté.
La représentante de l’ambassade de France, Wissam Khouya, a salué un projet sélectionné « pour l’importance de sa thématique et sa pertinence avec les priorités de la diplomatie scientifique française ».
Les représentants du ministère de l’Équipement et de l’Eau comme de l’Agence Nationale des Eaux et Forêts ont, eux aussi, insisté sur l’importance juridique de la préservation du fleuve, rappelant notamment la portée de la loi 36-15 sur l’eau et les efforts engagés pour accorder à la Moulouya un statut protecteur renforcé.
Biodiversité en péril : Un écosystème au bord de la rupture
Lors de la conférence plénière, le Pr Khalid El Bekkaye a dressé un tableau alarmant. Le SIBE de la Moulouya, riche d’espèces endémiques et d’habitats rares, subit simultanément salinisation des sols, raréfaction des habitats, pollution, pompages excessifs et pressions touristiques.
Selon lui, la régulation naturelle des crues s’affaiblit, les zones de reproduction des poissons disparaissent, et les services écosystémiques « sont gravement compromis ». Les conséquences dépassent la seule sphère écologique : agriculture, pêche et tourisme local sont désormais menacés.
Il appelle à « respecter le débit écologique, réguler les pompages et renforcer les études d’impact » pour éviter une perte irréversible de biodiversité.
Les communications suivantes ont mis en lumière l’évolution préoccupante du bassin inférieur du fleuve. Le Pr Mohamed Ghazal a présenté une analyse détaillée des débits de surface et de la nappe phréatique. Années humides et années sèches se succèdent mais avec une tendance nette à la baisse du débit depuis plusieurs décennies : certaines années, les stations hydrométriques ont enregistré des niveaux quasi nuls. Les crues historiques – 8 000 m³/s en 1963 – contrastent désormais avec des débits d’étiage de quelques litres par seconde.
L’envasement des barrages Mohammed V et Mechraa Hammadi réduit drastiquement leurs capacités. La nappe, de son côté, subit un pompage annuel excessif allant jusqu’à 70 millions de m³.
Le Dr El Khalloufi a rappelé, dans une présentation du Livre Blanc pour la Moulouya, les dysfonctionnements majeurs : pollution, sur-fréquentation touristique, dérèglement hydrologique. Il recommande notamment de soumettre strictement les prélèvements d’eau au régime d’autorisation préalable.
Le cœur du débat : quel débit écologique pour sauver la Moulouya ?
La seconde partie du séminaire a été consacrée à la question cruciale du débit écologique – le volume minimal nécessaire pour assurer le fonctionnement des écosystèmes du fleuve.
La Pr Sbai a rappelé que la Basse Moulouya est soumise à une triple pression : variabilité climatique, prélèvements agricoles, régulation par les barrages. Les méthodes hydrologiques classiques donnent des valeurs allant de 0,7 à 2,1 m³/s selon la qualité recherchée, tandis que les approches écohydrauliques exigent des analyses plus fines des habitats aquatiques.
Le Dr Benata et d’autres intervenants ont souligné les effets cumulés des barrages, des nouvelles stations de pompage (dont celle d’Oulad Stoute inaugurée en 2021) et de la prolifération récente des pompes agricoles alimentées par l’énergie solaire. En 2021, le fleuve n’avait même plus atteint son embouchure : une première historique.
L’étude en cours pour définir un débit écologique fiable n’étant pas encore achevée, les premières mesures de terrain permettent toutefois de proposer un débit minimal provisoire de 0,3 à 0,4 m³/s, en attendant une modélisation complète basée sur les habitats.
Un appel clair : transformer les recommandations en politiques publiques
Au terme des échanges, les participants ont formulé un ensemble de recommandations structurantes.
Sur le plan juridique, ils demandent la promulgation rapide des décrets d’application de la loi 36-15 concernant le débit écologique, l’instauration d’un statut légal protecteur pour le site, la création d’un comité de gestion et l’intégration obligatoire des contraintes environnementales dans tout projet de développement proche de la zone humide.
Les recommandations écologiques insistent sur l’instauration d’un débit écologique fixé à 1 m³/s, la limitation des pompages et la planification stricte des stations existantes, la restauration des fonctions hydrologiques du SIBE, un inventaire régulier de la pollution, un suivi physico-chimique des eaux issues de la STEP de Saïdia, l’actualisation des données sur la biodiversité et des travaux pour limiter les submersions marines et restaurer la junipéraie.
À l’issue d’une journée dense, le sentiment partagé était clair : la Moulouya se trouve à un tournant historique. La mise en œuvre des recommandations, désormais documentées et consensuelles, conditionnera la capacité du fleuve à survivre aux bouleversements climatiques et aux pressions humaines qui menacent son avenir.
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