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Nous nous rappelons tou.te.s de cette promesse faite à tout un peuple. Une promesse d’égalité, de justice et de dignité, gravée dans les mots de la Constitution de 2011. Une promesse qui élevait la voix de chaque Marocain et chaque Marocaine, qui les assurait que leurs droits, leur liberté, et leur dignité seraient protégés par les lois de la nation. Mais aujourd’hui, en 2025, cette promesse reste, pour beaucoup, une lueur lointaine. Et nous voici à un tournant : la réforme du Code de la famille, une réforme qui renferme le pouvoir de transformer cette promesse en réalité.
La famille est le cœur battant de notre société. Mais ce cœur bat à un rythme inégal, parfois brisé par des dispositions de l’actuelle Moudawana qui discriminent, des pratiques qui marginalisent et des croyances anachroniques.
Parmi les propositions de changement dévoilées, certaines insufflent un espoir timide. Permettre aux mères divorcées de continuer d’assurer la garde de leurs enfants après un remariage est une mesure bienvenue, car elle met enfin l’intérêt des enfants avant les jugements sur la vie privée des femmes. Protéger le domicile conjugal pour l’époux survivant, souvent une veuve, est une avancée importante pour garantir un minimum de stabilité et de sécurité.
Mais ces améliorations, bien que signifiantes, ne sont que la surface d’une réforme qui doit être beaucoup plus profonde et beaucoup plus juste. Car, derrière chaque ligne de la Moudawana actuelle, des vies sont impactées, des rêves sont brisés, des droits sont bafoués.
Les enfants nés hors mariage n’ont rien choisi, mais on leur refuse encore une reconnaissance pleine et entière. Le refus d’autoriser les tests ADN pour établir la paternité biologique les condamne à une invisibilité juridique et sociale. Ces enfants, tout comme leurs mères souvent abandonnées, sont traités comme des citoyens de seconde classe dans un pays qui proclame pourtant l’égalité et la dignité pour tous.
La règle, fondée sur des jurisprudences datant d’une ère où les tests ADN (ni même l’électricité) n’existaient pas, selon laquelle les enfants nés hors mariage n’ont aucun droit à l’égard de leurs pères biologique (nom de famille, pension, héritage…) a des conséquences insensées et désastreuses, tant documentées par le travail extraordinaire de feue Madame Aicha Echchenna sur les mères célibataires. Tout ce travail n’a visiblement pas trouvé grâce aux yeux des Oulémas qui expriment ainsi leur volonté de continuer de considérer les enfants nés hors mariage comme des marginaux.
Nous affirmons que les mères célibataires et leurs enfants sont des citoyen.ne.s marocain.e.s à part entière !
La Constitution l’affirme également dans son article 32 qui dispose : « [L’Etat] assure une égale protection juridique et une égale considération sociale et morale à tous les enfants, abstraction faite de leur situation familiale ».
Pourtant, aucune amélioration n’est prévue, dans les propositions dévoilées à ce jour, au profit des mères célibataires et leurs enfants qui restent, pour l’instant, les grands laissés pour compte de cette grande réforme.
Maintenir, après la Constitution de 2011, le refus de considérer les enfants nés hors mariage et de leur accorder les mêmes droits à l’égard de leurs deux parents biologiques, constituerait une violation manifeste de l’article 32 susvisé de la Constitution et devrait être frappée d’inconstitutionnalité.
Les règles d’héritage actuelles continuent de diviser les familles et de déposséder les femmes. Une sœur hérite encore de moitié moins que son frère, simplement parce qu’elle est née fille. Une fille, après le décès de son père, peut être forcée de partager son héritage avec des hommes qu’elle ne connaît même pas, au nom d’un système qui perpétue l’injustice : la taâsib.
Il est ironique pour les Oulémas de promouvoir l’inégalité en matière d’héritage tout en passant sous silence le régime de la Qiwama qui conditionne et légitime cette inégalité en droit musulman. Il manque manifestement une jambe à notre droit des successions.
Le maintien proposé de ces règles boiteuses ne résiste pas davantage à l’examen de leur constitutionnalité en 2025. En effet, l’article 19 de la Constitution affirme que « l’Etat œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes », après avoir précisé que « l’homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental (…) ».
Le maintien de règles inégalitaires en matière d’héritage devrait être frappé d’inconstitutionnalité à ce titre.
La Moudawana actuelle prévoit déjà, en substance, que l’accord de la première épouse est nécessaire pour que l’époux puisse contracter un second mariage. Elle précise que cet accord est formulé pendant le cours du mariage, lorsque l’époux décide de contracter un second mariage. En pratique, les retours de terrain montrent que beaucoup de femmes donnent cette autorisation en raison de pressions sociales et surtout de dépendance économique et que beaucoup d’hommes parviennent, à travers des failles procédurales, à se passer de cet accord tout en obtenant l’autorisation du juge pour le second mariage.
Les propositions que nous avons entendues à ce jour tendent, tout d’abord, à ce que la future épouse exprime son acceptation ou son refus de la polygamie de son futur époux dès la conclusion de l’acte de mariage. Cette proposition a l’inconvénient de ne pas adresser les difficultés constatées sur le terrain et qui font état de pressions sociales, familiales et économiques qui poussent les femmes à accepter la polygamie. Ces mêmes pressions peuvent s’exercer au moment de la conclusion de l’acte de mariage.
Mais le plus choquant dans les propositions entendues concerne les situations où la clause relative à l’acceptation ou non de la polygamie est absente de l’acte de mariage, c’est-à-dire tous les mariages en cours et probablement certains conclus après cette mesure si elle a le malheur d’entrer en vigueur. D’après ces propositions, en l’absence de clause autorisant ou interdisant à l’époux de contracter un second mariage, le juge pourrait être saisi par l’époux pour qu’il l’autorise à convoler en secondes noces dans deux cas principaux : « la stérilité de la femme ou son état de santé qui ne lui permettrait pas d’accomplir son devoir conjugal ».
D’emblée, l’adoption d’une telle mesure apparait inconstitutionnelle en ce qu’elle entraînerait une violation flagrante du droit au secret médical de l’épouse consacré par la Constitution qui énonce, à son article 24, que « toute personne a droit à la protection de sa vie privée ». Quoi de plus privé qu’un dossier médical concernant la fertilité et/ou l’aptitude sexuelle d’une personne ?
Par ailleurs, une telle consécration de l’existence d’un devoir conjugal dû par l’épouse à l’époux nous consterne. L’adoption d’une telle mesure constituerait une atteinte supplémentaire inacceptable au droit fondamental des femmes à disposer de leurs corps. Nous nous battons pour qu’au contraire, notre droit reconnaisse l’existence du fléau qu’est le viol conjugal.
La Moudawana actuelle, dans son article 19, pose déjà le principe de l’âge légal du mariage à 18 ans révolus. Mais en application de son article 20, le juge peut autoriser, par exception, des mariages de mineurs sans limite d’âge minimum. En pratique, au cours de ces vingt dernières années d’application, force a été de constater que l’exception est devenue la règle et qu’une grande majorité des demandes d’autorisation de filles mineures (dans une écrasante majorité des cas) aboutissent à une décision favorable du juge, sans réel examen du respect des conditions posées à ce même article 20.
Les propositions entendues à ce jour réaffirment le principe de l’âge légal à 18 ans. Cependant, elles ne rompent pas, malgré l’insécurité juridique que cela crée, avec la pratique des exceptions qui peuvent être accordées par le juge en les limitant, désormais, à 17 ans. Autant dire que l’âge légal du mariage serait fixé à 17 ans au Maroc.
Mais comment accepter que l’on puisse confier des responsabilités matrimoniales et familiales à des adolescentes, alors qu’elles ne sont pas encore reconnues comme des adultes capables de voter ou de signer un contrat ? Ces unions précoces détruisent des vies, enchaînent les jeunes filles à des rôles qu’elles n’ont pas choisis, et les privent d’un avenir où elles auraient pu être des citoyennes autonomes et épanouies.
Nous sommes à un moment décisif de l’histoire de notre pays et le monde entier nous regarde. Cette réforme est une opportunité de réparer les injustices du passé et de bâtir un Maroc qui regarde sans peur vers l’avenir. Nous ne parlons pas d’abandonner nos valeurs, ni de mimer l’Occident, mais d’accepter, humblement, de faire place à plus de justice et de dignité. Ces valeurs ne sont pas des concepts étrangers à nos traditions : ce sont des idéaux profondément enracinés dans notre culture et notre foi.
À nos concitoyen.ne.s, nous disons : engagez-vous, participez à ce débat, et faites entendre votre voix. Si cela va mieux pour les Marocaines, cela ira mieux pour tout le Maroc.
À nos Oulémas, nous rappelons l’invitation qui leur est faite par Sa Majesté d’« approfondir la recherche au sujet des problématiques du fiqh liées aux évolutions que connait la famille marocaine et qui exigent des réponses novatrices en phase avec les exigences de l’heure. »
À nos parlementaires, à qui revient, constitutionnellement, le fin mot de l’Histoire, nous disons : ayez le courage de porter cette réforme jusqu’au bout et faites en sorte qu’elle soit marquée par le sceau de sa conformité à la Constitution de 2011, aux traités internationaux ratifiés par le Maroc et aux droits humains universels. Un Maroc plus juste est un Maroc plus fort.
*Présidente de l’Association Kif Mama Kif Baba
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