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Les Safiots, toutes origines et confessions confondues, se targuent souvent, se plaisent toujours à rappeler, à l’adresse de leurs interlocuteurs urbi et orbi, le surnom marin attribué à leur cité par l’auteur des « Prolégomènes », Ibn Khaldoun, comme étant la « Cité de la mer océane », une médina médiévale dotée, d’après le canevas de l’époque, de solides remparts, d’une mosquée où le prêche du vendredi est célébré, d’un « Maristane (hôpital) et d’une « Qissaria » (Mall d’antan).
Son havre de mouillage recevait, d’Europe, les caravelles qui commerçaient avec le chef-lieu des plaines céréalières des Abda, tellement fertiles que les premiers colons leur trouvèrent une forte ressemblance avec la Beauce française).
Et, chez ces gens-là, ce référentiel historique n’est ni fortuit, ni incongru, car Safi, intra et extra muros, est un concentré civilisationnel d’une grande partie de notre Maroc pluriel : c’est ce que j’appelle un « Little Morocco ».
Safi, little Morocco
Safi, little Morocco, est une référence à ces quartiers d’émigrés en Amérique où se concentrent parfois toutes les sensibilités culturelles d’une même nation, comme little Italy, Chinatown ou little Odessa…
Malheureusement, d’aucuns croient que la Cité océane ne compte pas parmi les métropoles culturelles de notre pays. Certes, les media l’évoquent rarement en termes positifs : les contraintes d’un présent imprécis mettent souvent sous boisseau une fascinante histoire d’un melting-pot bien de chez nous qui est non seulement mésestimé mais aussi grandement dégradé, au lieu de servir à tirer le territoire de sa sinistrose actuelle et, hélas, aussi en devenir.
Safi et son hinterland constituent, à mon sens et pour les initiés, une résultante de plusieurs affluents culturels hic et nunc, qui sont :
Rien que selon l’angle linguistique, la composante amazighe demeure forte. Certes, l’arabe dialectal safiot est, en général, celui du littoral atlantique marocain arabophone. Cependant, c’est dans la matrice linguistique que la présence amazighe est la plus « audible ». Ainsi, d’après une étude de l’universitaire safiot M. A. Lataoui (le plus russophone des Safiots), portant comme titre « Ichtionymie », il ressort que les noms de plusieurs poissons de Safi sont d’origine amazighe, comme « Taznagt », sorte de sar, poisson avec une lueur de rougeur dont le dialectal (Tzeneg), rougir…
Toutefois à environ 30 kms plus au nord, une ligne verte linguistique se dresse et les noms de poissons deviennent arabes : « el haddad , el farkh, bouchouk »…
Une communauté juive, assez réduite de nos jours, était autrefois fort nombreuse. L’importance de la présence juive, antérieure à l’avènement de l’Islam, selon certains historiens, demeure palpable dans le mausolée Ouled ben Zmirou avec son moussem annuel et avec les recettes succulentes d’une cuisine fort appréciée. Cette présence commence à être revisitée : travaux de l’historien Brahim Kredya, ou l’œuvre de fiction du romancier safiot Hassan Riad, intitulée « Parchemins Hébraïques »( Prix de l’UEM). ( voir « les Gens d’ici » suivi de « Parchemins hébraïques », l’Harmattan – Paris 2006).
Tailleurs, bouchers, artisans, bijoutiers, musiciens… femmes pâtissières… , les Juifs de Safi faisaient partie intégrante du paysage socio-économique et culturel de la Médina, voire au-delà, dans l’arrière-pays où les marchands juifs avec leur mulet sillonnaient les campagnes, en toute sécurité, avec ses chalands, ses poudres, ses écorces de noyer (souak) pour les belles du douar… le fameux « El Attar ».
En outre, Safi est, à ma connaissance, l’unique cité avec une population israélite à ne pas avoir érigé un ghetto alias « mellah ». D’ailleurs feu E. A. El Maleh, fils de Mogador et grand pourfendeur du sionisme, est né dans la Médina de Safi en mars 1917, après certainement un parcours itinérant de ses parents.
Plusieurs familles originaires d’Andalousie sont venues s’installer, le plus souvent via Fès, à Safi. De nos jours, en sus d’une gastronomie et pâtisserie réputée (par exemple les massepains), nous sommes redevables à ces familles du legs d’une musique raffinée. Rares sont les Marocains qui n’ont pas été envoûtés par les « Mawal » d’un des meilleurs vocalistes, en l’occurrence Haj M. Bajeddoub. En outre, les familles andalouses ont largement contribué à l’essor de la poterie et de la céramique de Safi.
Les liens de Safi avec les pays du « SOUDAN » (Territoire des Noirs, actuel Mali) sont avérés depuis que la ville fut le port de Marrakech, capitale de plusieurs dynasties régnantes au Maroc. Aussi la présence d’une culture gnaoua avec ses « lilas » et ses rites de désenvoûtement, fait partie intégrante de la culture safiote, et, aspect culturel longtemps snobé, par rapport à un passé lié à l’esclavage, commence à être réinventé, grâce au Festival d’Essaouira, et aussi par des travaux documentaires ou de fiction. ( Voir notre roman « Gnaoua », l’Harmattan – Paris 2016).
Cette composante africaine de la Culture marocaine offre un syncrétisme époustouflant de couleurs, d’encens (gammes de benjoin), de sonorités, mais surtout de référentiels qui naviguent allègrement entre le Zeus de Djinns locaux, Chamharouch, vers un chevalier arabe, en passant par les territoires des « Bambaras » et les Mlouks ( rois / esprits / elfes) de la jungle.
Au port de Safi, qui peut, à lui seul, raconter l’histoire de la ville, le visiteur sera étonné de constater, en les entendant, la terminologie et le pidgin en vigueur chez les marins pêcheurs (bechkadri = pescador) : une suite de mots espagnols et portugais, sertis d’expressions cosmopolites. Le vieux parler safiot est toujours riche en termes d’origine ibérique, voire italienne, comme « genoui » : couteau originaire des fabriques de la Cité italienne de Gênes. Le même visiteur ne manquera pas de s’émerveiller à la vue du majestueux Château de Mer, chef-d’œuvre de l’architecture militaire lusitanienne du XVème siècle. Un monument hélas fort mal mis en valeur actuellement.
Elément essentiel, depuis Ouqba Ibnou Nafie qui, d’après une légende consacrée, foula les plages de cette mer, regrettant qu’elle soit un obstacle l’empêchant de porter le message de l’Islam plus loin. Le second personnage est sans doute le Cheikh Abou Mohamed Saleh qui organisa un système d’hostellerie de Safi jusqu’aux lieux saints de l’Islam, sous l’égide de sa Confrérie des Pèlerins. L’exode, prémédité par les Fatimides d’Ifriqia (Tunisie), des tribus arabes (taghriba des Beni H’lal… qui demeure synonyme, en arabe, d’éloignement ) a scellé définitivement l’arabisation de la région et de son chef-lieu Safi.
Les plaines de Abda, les- quelles étaient une partie de la confédération des Doukkala (les portes de Marrakech et d’Essaouira allant vers Safi ont le même nom « bab Doukkala ») offrent le parler de ses habitants, matière à des études linguistiques diverses : à titre d’exemple, la bâtisse où habite quelqu’un de la plaine sera en pisé ou en béton armé, et portera le vocable khaïma (tente) et s’intègrera dans un douar (cercle) autour d’un feu protecteur symbolique : seraient–ce les traces d’un nomadisme atavique ?
Enfin, le côté musical de cet élément demeure vivace avec cette musique qualifiée d’extra-muros, la aïta (appel) que la saga du Caïd Aïssa Ben Omar a rendue célèbre avec le personnage de Chikha Kharboucha, un laideron au verbe puissant haranguaient les Ouled Zid contre le despotisme du fameux Caïd jusqu’à leur extermination, à la Zapata, au début des années 20 du siècle précédent : « Aam Errafasa » (l’Année de la Bousculade) sous les remparts de la ville. Pour la aïta, il est nécessaire de rendre ici hommage à un homme qui a consacré sa vie à la recherche dans ce domaine et pour tout ce qui concerne cette culture populaire, feu Med Bouhmid. ( Voir « Il était une fois … Safi » Diwane Edition – Safi 2008).
Avec un potentiel pareil, Safi se devait de briller de mille et un feux sur le plan national, voire international. Hélas, au grand dam de tous, ces trésors demeurent enfouis sous d’épaisses strates, de poussière qu’on nommera ignorance, ineptie ou tout simplement médiocrité des différentes hypostases d’Autorité, collèges élus…
Ainsi, le réquisitoire est scellé, la litanie des chefs d’accusation et même des sous-fifres à donner en pâture à une foule avide de boucs émissaires serait évidente, ne souffrant d’aucune contestation, voire ne réclamant point de démonstration.
Personnellement, j’estime qu’une partie de la morbidité de la ville de Safi réside dans une part de sa population. En effet, cette sinistrose se manifeste par une cascade de fermetures dans le secteur tertiaire (hôtels, restaurants, franchises de petites marques…). cela advient après l’arrêt de plusieurs unités de conserves de poissons. Mais cela peut tenir à des explications plus rationnelles.
Ce phénomène s’est accéléré après le choix des villes-hôtes de la Coupe du Monde 2030, où Safi ne figure nullement ! Ceci a contribué à mettre en berne le peu de moral qui restait chez les investisseurs locaux déjà en butte à un environnement peu propice, peu attractif et sans réelles perspectives pour l’avenir, malgré des annonces de projets concernant l’OCP et une future zone industrielle…
Cependant, les petites et les très petites entreprises, véritables moteurs de l’économie locale, décrochent au regard d’un climat délétère nourri par une partie de la population : une infime minorité mais véritablement très agissante via les réseaux sociaux, avec, comme points cardinaux, l’envie de dénigrer, saborder, repousser et se lamenter, en fin de compte.
D’après ma modeste analyse, c’est un esprit hargneux, faussement syndicaliste, qui a pris naissance, à Safi, durant la fin des années 20 et au début des années 30 du siècle dernier, avec la réalisation du port moderne et le début des usines de transformation de la sardine.
En effet, les premiers syndicalistes safiots de souche ont été formés à bonne école contestataire par les envoyés de la CGT française !
L’on a appris à tout, sauf à négocier. Ainsi on discute pour s’affronter, en découdre et non argumenter, de bonne foi, pour convaincre.
Une anecdote résume cet esprit : sur les docks du port sévissait un « syndicaliste » hyper-influent nommé « El Baraka ». On rapporte ainsi : lorsque « el Baraka ordonne, le port s’arrête », « Ila dwa el Barak tew9ef el 7araka ».
C’est malheureusement de cet esprit maladroitement pétrifié, revanchard à souhait et pleurnichard, par épisodes, jouant ou faire donc la victime quand il ne peut être autrement que braillard et anti-innovation.
Cette minorité a pu user et abuser de tous les canaux de communication et principalement ruer, sur les réseaux sociaux, eu égard à maints avantages, pour créer une chape de plomb enveloppant tout le territoire et rendant suspects , que dis-je, quasi immoraux toute avancée, et tout investissement, surtout dans le tertiaire.
Ce 5ème tabor incarne une fausse élite qui a fait sienne cette devise sophiste : « ce n’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’on va se taire ».Ce serait plutôt une meute. Et, à l’évidence, ils ne proposent rien de raisonnable pour le marketing territorial, la résilience, la visibilité positive…
Ainsi, la joie de vivre d’antan, telle une peau de chagrin, se réduit jusqu’à disparaître, dans une cité qui, pourtant, possède plusieurs cordes à son violon d’Ingres.
A mon sens, il devrait exister quelques recettes techniques pour développer un territoire : les bureaux d’études peu ou prou sérieux (surtout avec l’IA) sont capables de présenter des plans d’action flamboyants avec des graphiques et des visuels à couper le souffle… mais cela ne dépasse que rarement le stade de l’amusement, pour une galerie souvent « hypocrite ».
Pour amorcer une dynamique heureuse dans un territoire, il me semble que la condition sine qua non est de faire adhérer la population autochtone, ou du moins sa majorité silencieuse souvent en stand-by.
Cela ne peut avoir lieu sans faire appel à la composante psychologique, à la motivation du for intérieur (excusez l’oxymore) pour que chaque membre de telle ou telle communauté se sente investi d’un vrai sacerdoce et non acculé à l’accomplissement d’un job « à la malgré-nous ».
l est vrai qu’il n’y a pas de remède miracle, mais il existe, tout de même des propositions assez sérieuses et des sentiers, probablement praticables.
Ainsi, en ce qui concerne le territoire de Safi, il me semble souhaitable de mettre en valeur et d’honorer tout son patrimoine immatériel, que j’ai tenté de synthétiser dans « Safi : little Morocco». Car, une population se sentant en confiance, ayant des racines, une histoire glorieuse, un savoir, un savoir-faire et un savoir-être, à offrir à l’Autre, en partage.
En somme, Safi ne doit pas être sinistré, mais il souffre d’une caste assez gauche, du moins verbalement. Investir dans le moral des hommes pourrait être la panacée.
* FPD Safi Université Cadi AYAD
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