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Tétouan, ville créative. Elle est la première métropole marocaine en 2017 à intégrer le réseau des villes créatives de l’UNESCO. Et cela pour son excellence des arts populaires et de l’artisanat. Elle donne quasiment l’exemple puisque depuis cette date trois autres villes du Royaume l’ont rejoint. Qu’est ce qui fait donc tant la particularité de la « Colombe blanche » ? Radioscopie d’un passé pluriel au patrimoine luxuriant.
La liste des distinctions internationales de la cité du nord ne se limite pas uniquement à celui de « ville créative ». Déjà en 1997, sa médina intégrait le patrimoine mondial de l’UNESCO. Comme une promotion ne vient jamais seul, la voici, en 2026, promue capitale méditerranéenne de la culture et du dialogue, et cela en parallèle de la ville de Matera en Italie. Pourquoi donc tant d’honneur à cette ville du Nord de quelques 400.000 habitants, souvent éclipsée depuis le XIXe siècle par l’ombre de sa voisine et rivale Tanger.
De la Tamuda antique à la Tétouan médiévale
Un peu de géographie. Tétouan se situe dans une vallée aux flancs du Djebel Dersa. Un emplacement généreux aux abords d’oued Mhannech. C’est probablement la raison d’une présence romaine, avide de cours d’eau pour la conquête de l’hinterland, à Tamuda, l’ancêtre antique de Tétouan. Pourtant une chose est sûre, ce que l’on retient de Tétouan, ce n’est nullement sa romanité mais plutôt son hispanité, et pour cela il faut remonter prestement les aiguilles de chronographe et nous installer dans le XVe siècle, celui de la Reconquista et du reflux musulmans depuis Al-Andalus.
En 1492, un 2 janvier se déploie l’un des psychodrames les plus prégnants de l’histoire de l’islam et des Arabes, encore vivace dans les mémoires maghrébines ; celui de l’expulsion de milliers d’Andalous vers les rivages sud de la Méditerranée. Ce ne sera que la première vague. Entre le XVe et le XVIIe siècle, d’autres bannissements suivront les uns aussi déchirants que les autres. L’une des premières destinations de ces migrants malgré eux sera la ville de Tétouan dans le Nord-Est de l’Empire chérifien. Nous sommes au XVIe siècle sous la dynastie des Mérinides.
Et malgré les profondes dissensions qui viennent ternir de-ci de-là la tranquillité du Royaume chérifien, le Maroc peut se targuer d’une continuité dynastique et étatique qui en fait une des destinations de prédilection pour les expulsés andalous. Tétouan semble bien s’arrimer en tête des points d’arrivées au Maghreb.
A cet attrait, il y a bien une explication du côté de la réputation de la ville. Nous avons beau être dans un monde où la communication est rudimentaire, il n’en demeure pas moins que les échanges maritimes entre les deux rives du Mare Nostrum sont denses, et les marins et hommes de mer, prolixes.
Et cela remonte au seuil du Haut Moyen-Age et des débuts de l’arabo-islamisation du Maghreb al-Aksa, comme en atteste, au demeurant, l’historien Jean-Louis Miège dans son opus Tétouan, ville andalouse marocaine (2001) « Certes dès 710, et pendant les siècles suivants, une petite ville nommée Tétouan était apparue, par moments, dans les récits arabes et européens. Les uns attestaient de sa sainteté, dont témoignaient les tombeaux des XIIe et XIIIe siècles, tôt devenus lieux de prière et de pèlerinage ». Cette renommée va remonter fort probablement les siècles et atteindre le tympan des Andalous, et particulièrement l’un des leurs. Abu Hassan Ali Al-Mandari.
Al-Mandari, le bâtisseur-fondateur de Tétouan
Afin de comprendre, il nous faut remonter la ligne du temps d’une douzaine d’années à partir de la date fatidique de 1492, et nous immobiliser précisément en 1480. C’est justement à cette date que le Grenadin al-Mandari fuit le Sud de l’Espagne pour le Nord du Maroc. Cet ancien alcalde ou bourgmestre de Pinar a décidé, avec une poignée de ses guerriers, de tourner la page du royaume nasride face à l’avancée fulgurante des Catholiques dans le sud de la Péninsule ibérique.
C’est à Chefchaouen qu’il trouve un accueil hospitalier de la part de Rashid ibn Ali, le cadi de la ville. Très vite, Al-Mandari jette son dévolu sur les ruines de Tétouan. Il décide d’en faire derechef une cité prospère. La médina tétouanaise, dans le style mauresque, prend désormais forme. « Cinq siècles d’histoire, qui ont commencé à la fin du XVe avec la reconstruction de la ville par Sidi al-Mandari et un groupe d’émigrés grenadins, ont façonné les symboles de la ville, matériels, psychologiques et spirituels. » insiste Jean-Louis Miège.
Deux impératifs dans son urbanisme prennent le dessus. D’une part, une ville agréable à vivre à l’instar des cités d’Al-Andalus. D’autre part, une exigence sécuritaire la rendant facilement défendable au regard de sa proximité à la Méditerranée et à Ceuta, bastion espagnol. Toujours est-il que Tétouan sous Al-Mandari portera une forte empreinte andalouse. Aussi bien matérielle (musique, cuisine, mode vestimentaire) qu’architecturale. Et cela ne fera que se confirmer au fil des siècles à venir.
Assurément. Les XVe et XVIe siècles racontent l’expulsion massive des musulmans d’Espagne vers l’Afrique du Nord. « Du jour au lendemain, en 1609, ils expulsèrent ces Musulmans (…) Mais ces nouveaux émigrés avaient vécu en Espagne cent vingt ans de plus, et ils apportaient avec eux le message de la Renaissance européenne. C’est parce qu’ils ont ramené dans leurs bagages des robes dernier cri de la mode de l’époque que les mariée s juives de Tétouan et de Fès sont encore habillées aujourd’hui comme les « ménines » du célèbre tableau de Velasquez » explique Jean Wolf dans Les secrets du Maroc espagnol, l’épopée d’Abd el-Khaleq Torrès (1994).
Tétouan, première destination des Morisques, connaît un boom sans précédent. Ainsi estime-t-on que sur la période entre 10 000 à 40 000 Andalous s’installent à Tétouan et dans le Tétouanais. A leur tour, ils imprègnent la ville de leur culture mudéjar, et lui transmettent une vie nouvelle. L’artisanat explose à Tétouan nécessitant par ailleurs le développement de nouveaux faubourgs. Comment ne pas évoquer à ce stade les célébrissimes broderies tétouanaises sur du coton ou du lin ? Le Tarz Taajira.
Celui-ci conserve fermement la mémoire andalouse puisqu’il (re) présente des motifs mudéjars et nasrides, reconnaissables avec leurs colories éclatants, pourpre, orange ou vert. De la broderie à la joaillerie, il n’y a également qu’un petit pas, allégrement franchi par les artisans. Les bijoux tétouanais sont le plus souvent l’œuvre de Marocains juifs. N’oublions pas cela dit en passant que les juifs sépharades ont également vécu l’exil andalou.
La plupart ont suivi le pas des musulmans. Ils ont élu domicile au Maroc. Leur savoir-faire de bijoutiers a donné lieu à un joyau bien particulier le Tayr. Il s’agit d’un pendentif en forme d’oiseau représentant colombe, pigeon ou aigle, souvent en diadème. Travaillés par les orfèvres juifs, ils furent très populaires, surtout au XVIIIe siècle. Tout laisse à penser que ces joailleries étaient principalement portées par les femmes juives sachant que seul les motifs floraux et abstraits sont acceptés par les musulmans.
Le savoir-faire grenadin touche également la maçonnerie et l’architecture. La plus voyante est sans conteste celle des mosquées, lieu de culte et de recueillement mais également monument patrimonial, dépositaire de l’art d’une époque donnée. En très peu de temps, des dizaines de mosquées vont être érigées répondant, à n’en pas douter, à un besoin de rapprochement d’Allah après les rudes épreuves subies par les chrétiens de la Reconquista.
A titre d’exemple, citons Jama al-Msimdi, construite en 1611, Jama al-Uyun (1620) ou Jama al-Jadida (1640). La conception maintenant. Les portes des mosquées. Des petites colonnes supportent un arc en demi-cercle moulé. Ensuite les minarets. Leur simplicité rappelle à plusieurs égards les clochers mudéjars du sud de l’Espagne. Autre élément andalou bien visible dans l’espace urbain. La présence sur les façades des bâtiments publics et privés, de céramiques avec des motifs jaunes et bleus sur arrière-fond blanc. Elles ont au demeurant été directement importé d’Espagne.
Au XVIIIe siècle, sous Ahmed el-Riffi, Tétouan va connaître une nouvelle ère. Voilà deux siècles que les Morisques y ont posé pied. Ce sont maintenant leurs descendants qui habitent la ville. Il n’y a plus de témoins directs de l’exode andalou. Du coup la mémoire ne se perd pas forcément mais en tous les cas se transforme. Quoi qu’il en soit, une des témoins architecturaux de l’époque est le palais de Ahmed al-Riffi, certainement édifié sur les restes du palais de la dynastie locale des Naqsis. Son mechouar par exemple fusionne les traits ibériques avec des éléments d’architecture ottomane.
De fait, un des attributs du paysage urbain de Tétouan est l’influence turque. Faut-il, cela dit en passant, que l’installation des Ottomans dans la Régence d’Alger date du premier quart du XVIe siècle. Quand bien même, ces derniers, malgré maintes tentatives de mettre la main sur l’Empire chérifien, n’y parviendrons jamais. En attendant, cela n’empêchera pas les influences ottomanes de pénétrer le Maroc, et essentiellement au niveau architectural et artisanal, Tétouan. Ce qui frappe dans cette nouvelle orientation de l’art tétouanais sont l’adoption des modèles floraux issus de la flore turque, principalement des œillets. On les retrouve aussi bien sur les boiseries, la joaillerie que dans la broderie.
Pour cette dernière, il y a un glissement vers le travail de la soie et du satin en lieu et place du coton et du lin. Cette tendance ne fera que se renforcer dans le second XIXe siècle. Et pour cause, avec l’arrivée des Français dans Maghreb al-Awsat, nombreux sont les Algériens qui migreront vers le Maroc, principalement vers Tétouan, colportant dans leurs bagages tout un art de vie orientale.
Et ce n’est pas terminé. La proximité de Ceuta, enclave espagnole, a toujours rendu Tétouan vulnérable. Et le fait se confirme en 1859 est envahi puis occupée par les Espagnols. Quasiment pour une période de deux années. C’est l’occasion rêvée et saisie par les Ibères afin de laisser leur empreinte. Des modifications notoires et brutales sont amenées à la médina comme l’érection d’un bureau de poste et de télégraphie à l’emplacement de la zaouïa des Aïssaoua, ou celle de la transformation de la confrérie Bel Hadj en église catholique.
De la sorte, et dans le cadre de l’occupation, les Espagnols imposent à la ville l’architecture contemporaine espagnole. Ce ne sera qu’un début puisque cinquante deux ans plus tard, avec la signature du double Protectorat en 1912, Tétouan glissait pour les prochaines quarante quatre ans dans l’escarcelle madrilène. Dorénavant l’architecture se résume à un seul et unique mot, celui de l’ensanche.
Ce quartier situé aujourd’hui au sud-est de la médina va vivre une expérience urbanistique sans pareil ; la fusion de l’art mudéjar et de l’art colonial espagnol. Aussi va-t-il être conçu en harmonie avec la médina classique la prolongeant dans l’espace de la ville moderne et européenne. A l’instar des villes espagnoles au XIXe siècle qui renoue avec la tradition architectural arabo-andalouse en les combinant avec les tendances contemporaines, l’ensanche tétouanais sera conçu à la croisée de trois influences ; celle du courant éclectique franquiste, celui de l’arabisant, enfin celui de l’art déco très en vogue en Europe.
C’est ainsi que Tétouan a pu être le réceptacle de plusieurs cultures venues des rivages nord du mare nostrum s’unir avec les traditions locales faisant de la « Colombe blanche », avec Rabat-Salé et Fès, l’une des cités les plus singulières du Royaume chérifien. De quoi en faire la capitale méditerranéenne d’une culture et d’un dialogue vieux de plus d’un demi millénaire.
*Historien belogo-marocain
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