Le secteur touristique marocain a enregistré des performances notables en 2024, avec un total de 17,4 millions de visiteurs, marquant une hausse de 20 % par rapport à l’année précédente. Cette progression a été saluée par le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, lors de son allocution devant le Parlement le 27 janvier 2025. Cependant, l’expert en tourisme Zoubir Bouhout propose une analyse approfondie des chiffres avancés, mettant en lumière les dynamiques du secteur et les défis à relever.

Selon Bouhout, la progression des arrivées touristiques au Maroc en 2024 est indéniable. Le pays est passé de 14.524.727 touristes en 2023 à 17.411.949 en 2024, soit une augmentation de 2.887.222 visiteurs (+20 %). Cette hausse concerne à la fois les touristes étrangers en séjour (TES), qui ont atteint 8.797.771 (+23 %), et les Marocains résidant à l’étranger (MRE), dont les arrivées ont grimpé de 17 %, passant de 7.374.733 à 8.614.178.

Toutefois, l’expert met en avant la dépendance du Maroc à certains marchés. En 2024, 80 % des arrivées provenaient d’Europe, avec une prédominance de la France, de l’Espagne et du Royaume-Uni. La France reste le premier pays émetteur avec une hausse de 21 %, atteignant 2 421 539 TES. Le Royaume-Uni a connu une progression spectaculaire de 47 %, atteignant 998.862 visiteurs, tandis que l’Italie et l’Allemagne affichent des croissances respectives de +35 % et +29 %. En revanche, les États-Unis n’ont enregistré qu’une modeste augmentation de 6 %.

Des chiffres intrigants pour les MRE

L’un des points soulevés par Bouhout concerne la progression « curieusement parfaite » des MRE issus des principaux pays émetteurs. Selon lui, toutes les hausses enregistrées affichent un taux identique de 16,81 %. Par exemple, les MRE en provenance de France sont passés de 2.883.521 à 3.368.144, ceux d’Espagne de 1.725.688 à 2.015.718, et ceux du Royaume-Uni de 125.370 à 146.441. Il s’interroge sur cette symétrie, qui peut relever d’un simple hasard statistique ou d’un calcul dans l’établissement des chiffres.

Entre 2000 et 2024, les nuitées totales ont plus que doublé, atteignant 28,3 millions en 2024 (+108,9 %). Cette progression s’est déroulée en plusieurs phases : une hausse régulière entre 2000 et 2019 (+86 %), un effondrement en 2020 (-72,3 %) dû à la pandémie, puis un rebond spectaculaire en 2022 (+106,8 %), suivi d’un ralentissement en 2024 (+10,4 %).

Bouhout distingue deux tendances majeures. D’abord, les nuitées des non-résidents ont progressé de 75,8 % entre 2000 et 2024, atteignant 19,8 millions en 2024. Toutefois, leur part est passée de 83,2 % en 2000 à 69 % en 2019, avant de chuter à 70 % en 2024.

Deuxième tendance, c’est que les nuitées des résidents ont bondi de 274,4 %, atteignant 8,5 millions en 2024. Leur part a connu une hausse spectaculaire en 2020 (69,4 % des nuitées totales), avant de revenir à 30 % en 2024.

Le rôle crucial du tourisme interne

Notre intervenant met en avant la montée en puissance du tourisme interne, que le chef du gouvernement a également soulignée en mentionnant 8,5 millions de nuitées enregistrées en 2024 (30 % du total national). Depuis les crises successives qu’a traversées le tourisme mondial, le Maroc a mis en place plusieurs initiatives pour renforcer ce segment, notamment les campagnes Kounouz-Biladi de 2003, 2009 et 2012. Ce dynamisme a permis de pallier les effets des crises internationales et d’assurer une certaine résilience du secteur.

Cependant, malgré ces efforts, le tourisme interne demeure marqué par des défis structurels : le coût élevé des services touristiques pour une partie de la population, l’insuffisance des infrastructures adaptées aux besoins des familles marocaines, et le manque de diversification des offres touristiques régionales. Pour renforcer davantage ce segment, Bouhout recommande une approche intégrée qui implique des incitations financières pour les ménages, des investissements dans le transport interurbain et une promotion accrue des sites culturels et naturels encore peu exploités.

Des investissements conséquents pour l’avenir

Lors de son intervention au Parlement, Aziz Akhannouch a mis en avant un investissement de plus de 8 milliards de dirhams en 2024 pour améliorer les infrastructures touristiques. Par ailleurs, 25.000 nouveaux emplois ont été créés en 2023, illustrant l’impact économique du secteur.

Le gouvernement ambitionne également de porter le nombre de passagers aériens à 80 millions d’ici 2035 en misant sur des projets d’infrastructures, comme l’extension du réseau ferroviaire et la construction de nouvelles routes. Ces développements devraient permettre une meilleure connectivité entre les différentes régions touristiques et faciliter l’accès à des destinations moins fréquentées.

En parallèle, le Maroc cherche à attirer davantage d’investisseurs étrangers dans l’hôtellerie et les loisirs, avec un accent mis sur l’écotourisme et les stations balnéaires. Bouhout insiste néanmoins sur l’importance d’une planification stratégique qui évite une saturation de certaines destinations phares comme Marrakech et Agadir, au profit d’un développement plus équilibré des autres régions.

Une vision à ajuster

Si le gouvernement affiche des chiffres impressionnants, Bouhout rappelle que des défis subsistent. Selon l’expert, le Maroc doit réduire sa dépendance à l’Europe, en attirant plus de touristes en provenance des États-Unis, du Canada, du Brésil, de la Chine et de l’Inde, miser sur le tourisme haut de gamme pour capter une clientèle à fort pouvoir d’achat, renforcer la qualité des services afin de fidéliser les visiteurs et améliorer l’expérience touristique et enfin soutenir le développement du tourisme rural et écologique, en valorisant les richesses naturelles et culturelles locales.

En conclusion, ce fin connaisseur du secteur considère que le Maroc a franchi une étape importante dans le développement de son tourisme, mais qu’une co-construction réaliste est nécessaire pour assurer un avenir plus équilibré et durable au secteur. Avec une diversification de son offre, une amélioration des services et une stratégie d’investissement bien pensée, le Maroc pourrait consolider sa place parmi les destinations touristiques incontournables dans les années à venir.

The post Tourisme au Maroc : Une année record, des chiffres à nuancer appeared first on Hespress Français - Actualités du Maroc.