Dans les rues de Casablanca, Rabat ou Marrakech, le spectacle est devenu familier : des trottinettes électriques filent entre les voitures, certaines à une allure qui ferait pâlir bien des cyclomoteurs.
Cette réalité quotidienne a poussé le gouvernement à agir. Le projet de décret qui vient d’être adopté par le Conseil de gouvernement marque un tournant dans l’encadrement de ces nouveaux moyens de transport. La limite de 25 km/h, désormais inscrite dans le Code de la route, répond à une urgence croissante.
Dans les ateliers de réparation et de modification, l’ambiance s’est tendue ces dernières semaines. Khalid, mécanicien spécialisé dans les deux-roues électriques à Salé, observe les changements : « Avant, les clients venaient me demander de débloquer la vitesse de leur trottinette comme si c’était normal. Maintenant, ils hésitent, ils posent des questions sur la loi”.
Les modifications sont pourtant d’une simplicité déconcertante. Un simple flashage du contrôleur électronique suffit souvent à transformer une trottinette bridée à 25 km/h en bolide capable d’atteindre 60 km/h. « C’est comme débrider une moto 125, mais encore plus facile« , confie un vendeur de pièces détachées qui préfère garder l’anonymat.
Sur les réseaux sociaux, les groupes dédiés aux trottinettes électriques bouillonnent d’interrogations. Youssef, étudiant à Fès et propriétaire d’une trottinette modifiée, partage ses inquiétudes : « J’ai payé 8.000 dirhams pour ma machine, et maintenant je ne sais plus si je pourrai continuer à l’utiliser. Personne ne nous dit clairement ce qui va se passer avec les engins déjà modifiés”.
Les autorités locales commencent déjà à s’organiser. À Tanger, la police municipale a récemment intensifié ses contrôles, particulièrement aux abords des universités et des zones d’affaires où la circulation de trottinettes est dense. « On voit bien que certaines roulent beaucoup trop vite« , témoigne un agent qui patrouille régulièrement sur la corniche.
Pour Fouad Karama, la régulation était inévitable. Ce jeune cadre dans une entreprise de télécommunications utilise sa trottinette pour ses trajets quotidiens entre son domicile à Hay Riad et son bureau à Agdal. « Quand j’ai commencé à rouler en trottinette il y a deux ans, on était une poignée. Maintenant, c’est l’anarchie totale sur certains axes”.
Il raconte avoir été témoin d’accidents évités de justesse : « L’autre jour, avenue Mohammed V, une trottinette lancée à pleine vitesse a failli percuter une dame âgée qui traversait. Le conducteur a réussi à l’éviter in extremis, mais ça aurait pu très mal finir”.
Fouad Bayaz, qui a consacré une grande partie de sa carrière à l’analyse des accidents de la route, voit dans cette régulation une nécessité de santé publique. Dans son bureau tapissé de statistiques et de rapports, il évoque les chiffres qui l’inquiètent : « Les services d’urgence commencent à recevoir des blessés de trottinettes avec des traumatismes comparables à ceux des motards. La différence, c’est qu’ils n’ont ni casque, ni protection”.
Les importateurs officiels, eux, accueillent la mesure avec un certain soulagement. Le marché parallèle, alimenté par les plateformes de commerce en ligne et certains magasins peu scrupuleux, a longtemps prospéré dans un vide juridique. Des trottinettes venues d’Asie, souvent dépourvues de bridage, se vendaient au même prix que les modèles réglementaires, créant une concurrence déloyale.
Dans les lycées et universités, où les trottinettes électriques sont devenues un phénomène de mode, les discussions vont bon train. Les vendeurs de casques et d’équipements de protection observent déjà une légère augmentation de leurs ventes. Reste à voir comment cette réglementation sera appliquée concrètement.
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