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Professeur émérite de science politique à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Moussa Diaw livre une analyse sans détour de l’actualité politique nationale. Dans un entretien, il revient sur les promesses de rupture du nouveau régime, les réformes institutionnelles et politiques non encore concrétisées, les atteintes perçues à la liberté d’expression et la nouvelle posture diplomatique du président. Sans complaisance, il appelle à la vigilance face aux dérives verbales dans l’espace médiatique, tout en défendant fermement le droit à la libre opinion.
Deux ans après son accession au pouvoir, que retenez-vous des actions du nouveau régime au regard des promesses de rupture dans la gestion de l’État ?
Le nouveau pouvoir s’est attelé à traduire dans les faits les promesses de campagne en termes de rupture dans la gouvernance étatique. Dans cette perspective, les Assises de la justice et les conclusions qui en sont découlées devraient constituer une réponse aux manquements de la justice. Mais, il semble que les réponses très lentes peinent à marquer la rupture attendue dans ce domaine important du fonctionnement de l’Etat de droit. La récente déclaration du Premier ministre et ses remarques sur les graves dysfonctionnements de la justice montrent que beaucoup d’efforts restent à faire pour que la justice soit au niveau des attentes des citoyens et des exigences de l’État de droit. Le second point que l’on peut noter dans l’action des autorités concerne la gouvernance économique et financière dans la transparence.
Elle s’appuie sur les décisions du Pool financier et judiciaire permettant de relever les dérives dans la gestion financière et d’appliquer les sanctions idoines afin d’éviter de tels écueils. Le souci de transparence et de bonne gouvernance constitue le canevas de l’action gouvernementale. Cette nouvelle directive s’impose devant la rigueur des organismes financiers internationaux. Le défi est de faire face à un endettement proche de 100% du PIB, plombant les capacités d’investissement de l’Etat et son développement économique et social. Les nouveaux dirigeants sont attendus sur la création d’emplois et les mesures de redressement économique. Les réformes institutionnelles et politiques tant annoncées ne voient pas encore le jour, créant un scepticisme auprès des partisans du régime qui croyaient à une accélération des transformations.
Aujourd’hui, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer des atteintes à la liberté d’expression. Partagez-vous cette perception ?
Il faut être prudent sur cette question de liberté d’expression car l’espace médiatique est marqué par une forme d’anarchie, de dérives verbales. Une absence de régulation et d’ailleurs on se demande à quoi sert le CNRA qui ne réagit que par un communiqué laconique. Alors qu’il devrait veiller sur le respect des cahiers de charges, des modalités de recrutement de chroniqueurs sans expertise ni expérience dans les domaines de leur intervention. Certains sont connus par leur engagement politique pour se protéger par leur nouveau métier. C’est un univers très contrasté où se mêlent à la fois activité journalistique sans professionnel et opposition politique.
En écoutant leurs propos sur des sujets qu’ils ne maîtrisent point, on se rend compte qu’ils sont à la solde de leaders politiques peu courageux, préférant se cacher derrière des chroniqueurs téméraires. Cela dit, certains écarts de langage ne méritent pas la prison. La démocratie est l’ouverture de l’espace public à un débat contradictoire en respectant les règles de jeu. Aucune personne ne doit être poursuivie par son opinion ou par ses idées. Cette liberté est un principe démocratique, préservé par la constitution. L’époque de la police politique est révolue, nous sommes dans un régime démocratique qui accepte la pluralité d’opinion dans le cadre de la loi.
Que vous inspire la nouvelle orientation diplomatique du président de la République, qui semble opter pour un partage des rôles avec son Premier ministre ?
Oui, c’est une innovation car dans le régime présidentiel, la défense et la politique étrangère relèvent des prérogatives du Président de la République ou de ses domaines réservés. Toutefois, le Président Diomaye a toujours exprimé sa volonté de partager ses pouvoirs avec son Premier ministre. Le domaine de la diplomatie rentré dans ce cadre permettant la complémentarité entre les deux membres de l’exécutif. Cela ne pose aucun problème à partir du moment où il y a une entente et une coordination entre les deux têtes de l’exécutif qui s’entendent sur les orientations et les actions diplomatiques. Cela pourrait poser problème s’il y a désaccord entre les deux hommes, tel n’est pas le cas aujourd’hui. Pour une meilleure articulation de l’action diplomatique et de coopération, le Premier ministre a annoncé la création d’une cellule chargée de ces questions.
Après la visite du Premier ministre en Chine, c’est au tour du chef de l’État d’être invité par le président des États-Unis. Quels sont, selon vous, les enjeux de cette offensive diplomatique du Sénégal sur la scène internationale ?
Cette offensive de la diplomatie sénégalaise sur la scène internationale symbolisée par le voyage du Premier ministre en Chine et du Président aux Etats-Unis, correspond à la vocation du Sénégal de jouer un rôle important sur le plan géopolitique régionale et dans l’espace mondial en fonction des nouveaux enjeux consécutifs à la reconfiguration des relations internationales. Le Sénégal s’est toujours distingué par la stabilité de son État, de sa démocratie et par une diplomatie active. Ces facteurs en font une singularité dans une Afrique en ébullition. Par sa vocation de s’intéresser aux affaires mondiales, le Sénégal prend position sur des dossiers qui agitent les acteurs mondiaux, notamment sur la Palestine et récemment sur la guerre entre l’Iran et Israël.
Aujourd’hui, la vision diplomatique s’appuie sur le réalisme fondé sur la défense de ses propres intérêts dans les négociations commerciales et la recherche d’investissement pour le développement. Ainsi, la valorisation des différentes ressources nationales (gaz, pétrole, pêche, minerais) représente des enjeux de développement dans le cadre de partenariat gagnant-gagnant qui pourrait renforcer son action internationale, sa visibilité et ses efforts pour la paix et la sécurité mondiale. Tout cela ne peut réussir sans la volonté et la détermination des hommes au sommet de l’Etat qui comprennent les enjeux et agissent dans le sens de l’intérêt national et de la nécessité de marquer sa présence dans le concert des nations.
Réalisé par Nando Cabral Gomis
L’article Gouvernance, diplomatie partagée, liberté d’expression : le diagnostic du Pr émérite Moussa Diaw sur le nouveau régime est apparu en premier sur Sud Quotidien.