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Dans les sociétés traditionnelles sénégalaises, la parole était bien plus qu’un outil de communication. Elle était une arme, un rempart, une mémoire vivante, un mode de transmission des savoirs et des valeurs. Le xaxar des anciens, les tassu des femmes griottes, les joutes verbales du kasak, les proverbes quotidiens et les contes du soir tissaient le lien entre les générations, structuraient la vie communautaire et nourrissaient l’imaginaire collectif. Aujourd’hui, ces formes d’expression orale, pourtant riches en sagesse, en poésie et en musicalité, se trouvent en situation de déclin face à l’uniformisation culturelle, à l’érosion des langues nationales et à la domination des écrans.
Le xaxaar, ce discours plein de verve, de ruse et de profondeur que les anciens délivraient lors des palabres ou des cérémonies, perd de son aura, remplacé par des discours politiques creux ou des interventions stériles sur les réseaux sociaux. Le taasu, jadis expression des femmes par la parole chantée ou scandée dans les cérémonies, se raréfie, même dans les grandes fêtes traditionnelles.
Quant au kasak, une séance particulière destinée aux jeunes circoncis , il enseigne tout un ensemble de messages, de métaphores, et de paraboles, avec une seule finalité : former les initiés de la Case de l’homme à l’expression orale, à l’expression corporelle et à aiguiser la mémoire. Ces séances sont des moments de joie et d’épreuves pour des malentendants ou des esprits peu enclins à retenir les messages. Des maîtres de case qui en avaient de la renommée.
Tous ces duels oratoires empreints d’humour, d’insolence maîtrisée et de virtuosité langagière, ne suscitent plus l’enthousiasme d’antan, sauf dans quelques rassemblements nostalgiques ou festivals culturels. Toutes les cultures des terroirs en avaient une formule plus ou moins spécifiques.
Les proverbes, ces condensés de sagesse populaires, deviennent inaudibles dans un monde numérique qui valorise la vitesse plus que la profondeur. Leur usage diminue, tout comme les contes, longtemps racontés à la veillée et qui assuraient à la fois la transmission morale, historique et cosmologique. Le conteur, figure de référence, est désormais concurrencé par YouTube, TikTok et les séries étrangères.
Ce déclin n’est pas uniquement linguistique. Il signe aussi une crise de transmission. Les enfants comprennent de moins en moins les langues locales, et ceux qui les parlent ne perçoivent plus la richesse de ces formes d’expression. Le verbe, autrefois pilier du savoir, devient décoratif, relégué aux cérémonies folklorisées ou aux spectacles scolaires.
Faut-il pour autant enterrer ce patrimoine immatériel ? Non. Des initiatives existent : ateliers de contes en milieu scolaire, archives numériques, scènes ouvertes de taasu, résidences de griots modernes, etc. Mais elles demeurent dispersées et souvent sans relais politique fort. La valorisation de ce « monde du verbe » nécessite une volonté culturelle affirmée, qui combine éducation, média, soutien aux artistes traditionnels et revalorisation des langues locales.
Ce combat pour la parole, pour le verbe incarné, n’est pas un luxe du passé. Il est une urgence contemporaine pour réancrer la société sénégalaise dans sa profondeur, sa richesse symbolique et sa diversité langagière. Car perdre ces formes d’expression, c’est perdre une partie de notre âme collective.
SAMBA NIEBE BA
L’article Xaxar, taasou, kasak, proverbes et contes : un monde du verbe en situation de déclin est apparu en premier sur Sud Quotidien.