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L’Algérie est toujours débordante de surprises. Pour célébrer le 70ᵉ anniversaire du déclenchement de la Guerre de libération, voilà qu’elle sort l’artillerie lourde avec un grand défilé militaire, installé en plein cœur de la capitale, sur l’avenue de l’Armée de Libération Nationale, face à la Grande Mosquée d’Alger.
Ce n’est pas n’importe quel défilé ! Selon le ministre des “Moudjahidines“, Laïd Rebiga, il s’agirait, tenez-nous bien, d’un « message de paix » destiné au monde entier. Une paix assurément robuste, en treillis et en chars. Bien sûr, pour accueillir cette démonstration d’amitié armée, la capitale est pratiquement paralysée. Depuis des jours, la rocade nord et ses 16 kilomètres sont fermés, au grand désarroi des automobilistes d’Alger, qui ont tous, sans doute, ressenti ce message de paix dans les bouchons qui s’étendent à perte de vue.
La jonction entre le pont de Cosider, à El Harrach, et Belouizdad a été bouclée comme pour signifier au monde que, oui, l’Algérie peut bloquer ses propres axes routiers aussi efficacement que ses grands idéaux diplomatiques. Que dire aussi des efforts monumentaux déployés pour sécuriser cette grande parade ? On n’a rien laissé au hasard : les lieux, les accès, les tribunes, tout a été passé au peigne fin. Les citoyens d’Alger, tenus à distance bien sûr, pourront s’émerveiller de cette démonstration martiale de paix, tout en tentant de percer le mystère de ce message bien singulier que l’Algérie adresse au monde. Avec un tel spectacle, la paix n’a jamais été aussi… armée.
Qu’à cela ne tienne ! Alors que l’Algérie s’apprête à célébrer le 70ᵉ anniversaire de sa Révolution, une question se pose cependant. Que reste-t-il de l’esprit du 1ᵉʳ novembre 1954 ? Que dire de cette lutte pour la liberté, trahie par des décennies de gouvernance opaque, d’autoritarisme et de détournements ? En ce jour de commémoration, contre toute attente, la flamme révolutionnaire a cédé la place à une course effrénée pour conserver les privilèges d’une élite hors-sol.
Depuis les premières lueurs de l’indépendance, un vent de promesses soufflait sur les terres algériennes, porteur de justice et de prospérité pour les citoyens. Hélas, ce vent s’est transformé en une bourrasque de déceptions, balayant les idéaux de liberté au profit d’une administration qui s’obstine à garder les rênes, quitte à piétiner l’héritage révolutionnaire.
Dans une ironie des plus tragiques, le chemin vers la liberté s’est transformé en une voie vers un système autoritaire et bureaucratique. Merci à qui ? Merci aux deux séniles du balcon des Muppets show made in Algeria. Les richesses naturelles, censées profiter au peuple, ont été méthodiquement accaparées par une caste qui a façonné l’Algérie à sa propre image : une nation qui vénère le souvenir de sa Révolution tout en piétinant ses principes. Les décennies passent, et cette Algérie-là continue d’assister, impuissante, à la concentration des richesses et du pouvoir entre les mains d’une minorité.
Pour cette élite, la légitimité semble résider dans un passé glorieux et dans une gestion du pétrole qui enrichit quelques-uns au détriment de tous. Or, en 2024, ce modèle, qui repose sur la double légitimité de la lutte anticoloniale et des ressources nationales, s’effondre sous le poids des inégalités et des aspirations d’un peuple qui aspire à autre chose qu’à des commémorations vides de sens.
Le 1ᵉʳ novembre 1954 devait incarner la volonté du peuple ; aujourd’hui, il est devenu un rappel morose d’une indépendance dévoyée. Que reste-t-il de cette révolution, si ce n’est une statue figée, placée bien en vue pour distraire un peuple confronté à une crise économique, à une gouvernance caduque et à un sentiment croissant de trahison ?
Le Hirak, ce sursaut populaire qui a ébranlé l’Algérie contemporaine, a mis en lumière une volonté de rompre avec cette déviation historique. Des millions de citoyens ont rappelé, par leurs voix, que l’esprit de 1954 ne se nourrit pas de cérémonies, mais d’actions. Face aux élites, ils ont réclamé une véritable indépendance – celle qui garantit le respect de leur volonté.
En ce 1ᵉʳ novembre 2024, l’Algérie se tient à un carrefour : honorer enfin l’esprit de 1954 en rendant au peuple sa voix, ou continuer d’ériger en modèle un système qui l’a trahi. Que peut-il bien rester d’une Révolution dont les idéaux se sont perdus en route, échoués quelque part entre les palais du pouvoir et les comptes bancaires des privilégiés ? Peut-être faudrait-il désormais cesser de parler de « Révolution » et simplement admettre que les idéaux ont déserté, au profit de l’autoritarisme du régime des capos qui écrase chaque jour un peu plus les rêves de justice et de dignité du peuple algérien.
Le 1ᵉʳ novembre en Algérie ne demeurera, dorénavant, qu’une simple commémoration de façade, un geste d’apparat pour dissimuler les vestiges d’une Révolution que l’histoire retiendra peut-être comme l’une des plus grandes trahisons du peuple algérien.
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