Posted by - Senbookpro KAAYXOL -
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La publication par le quotidien français Le Monde, entre le 24 et le 29 août 2025, d’une série de six articles intitulée « L’énigme Mohammed VI », n’a pu être lue comme une enquête journalistique neutre. Elle s’inscrit dans une longue tradition française d’observation paternaliste lorsqu’il s’agit de scruter ses anciennes colonies ou protectorats, notamment le Maroc, où l’analyse politique prend des airs de jugement externe, produit des rédactions parisiennes, destiné à influencer le regard international sur le royaume.
Loin d’être une contribution au débat international, elle s’inscrit dans une logique d’influence et de projection de pouvoir. Au nom d’une prétendue « liberté de la presse », par l’intermédiaire de l’un de ses organes médiatiques les plus subventionnés, Paris diffuse un récit orienté visant à délégitimer le Royaume du Maroc, et personnellement son Roi, Mohammed VI.
Ce procédé journalistique qui participe plus d’une narration géopolitique que d’une chronique, n’est pas anodin.
Les articles sur Mohammed VI doivent être lus comme une prise de parole française sur le Maroc, inscrite dans un rapport historique asymétrique. Brandie comme étendard, la « liberté de la presse », devient ici le paravent d’une posture d’ingérence, qui juge et façonne les récits sur le royaume, au lieu d’informer de manière sourcée, neutre et objective.
Construits comme un récit de délégitimation, ces six volets n’analysent guère : ils forment une narration complète – fin de règne crépusculaire, jeunesse fragilisée, réformes avortées, diplomatie cynique, intrigues de cour.
Le procédé est littéraire – de piètre facture, autant que journalistique : on donne au lecteur français et occidental une histoire linéaire de déclin. Ce n’est plus une enquête, mais une mise en récit politique, autorisant Le Monde à décortiquer les coulisses du Maroc avec un ton subjectif en six volets :
– « Au Maroc, une atmosphère de fin de règne pour Mohammed VI », est plantée d’emblée l’idée d’un Maroc en déclin, d’un Roi malade, absent, entouré de clans. L’ouverture de la série n’est pas factuelle, mais dramatique : le lecteur est conditionné à lire toute la suite sous l’angle de la délégitimation et du crépuscule.
– « Mohammed VI, une jeunesse à l’ombre de Hassan II », ensuite, on remonte en arrière pour expliquer ce déclin par une psychologie d’héritier fragile et incompris. On pathologise la monarchie en construisant un « trauma originel » : un Roi affaibli dès l’enfance, prisonnier d’un héritage écrasant.
– « Mohammed VI, le monarque des réformes inachevées », puis on attaque le cœur du règne : les réformes seraient toujours « inachevées », la modernisation avortée, le Maroc bloqué par l’autoritarisme. C’est le registre du désenchantement politique, des espoirs déçus, des promesses trahies.
– « Mohammed VI, Roi des grandes manœuvres diplomatiques », le volet diplomatique où même ses succès (Afrique, Espagne, Israël, Sahara) sont présentés comme des « manœuvres », un terme péjoratif réduisant la stratégie nationale à du cynisme tactique.
– « Mohammed VI, le makhzen et l’art des secrets de palais », est dépeint un cabinet noir contrôlant les rouages du pouvoir objet de convoitise par l’accroissement simultané d’oligarques.
– « Mohammed VI, l’islam et les islamistes », la fonction religieuse du Roi est cantonnée à un pare-feu personnel.
L’aboutissement du récit est clair : un Roi manœuvrier mais affaibli, qui ne laisse en héritage qu’un Royaume fracturé.
Le Maroc reste lu à travers le prisme post-colonial dans lequel la France conserve encore en 2025 l’habitude de définir ce qui est crédible, légitime ou non dans son ancien protectorat :
– le Sahara occidental est analysé en termes de rapport de force,
– les tensions avec l’Espagne et l’Allemagne sont décrites comme des « chantages », sans équivalent dans la lecture de la diplomatie française,
– le rôle de la monarchie est ramené à des intrigues de palais, perpétuant une vision orientaliste où la politique marocaine est assimilée à des luttes de clans.
Ce type de série fonctionne assurément comme un outil d’influence. Et sous couvert de journalisme d’investigation, Le Monde déploie une ingérence, où sa liberté (de la presse) se mue en instrument diplomatique, de « soft power » façonnant la perception internationale du Maroc au moment où Rabat enchaîne les points décisifs, avec notamment son Sahara.
Le droit international, à travers l’article 2 § 7 de la Charte des Nations Unies et la jurisprudence de la Cour internationale de Justice – affaire Nicaragua c. États-Unis, 27 juin 1986, consacre le principe de non-ingérence qui vise plus largement tout type d’immixtion dans les affaires d’un autre Etat ; aucun État ni aucun acteur ne peut intervenir, directement ou indirectement, dans les affaires relevant de la souveraineté d’un autre État.
Cela inclut la propagande – déstabiliser, saper la confiance dans les institutions d’un pays, engendrer la confusion entre le vrai et le faux, servir les intérêts d’une puissance étrangère, pouvant même aller jusqu’à détruire une cible -, les moyens de pression politiques ou économiques, qui peuvent être utilisés par un Etat afin de faire en sorte que les affaires d’un autre se déroulent de la manière qu’il désire, à son profit ou au profit de ses ressortissants.
Il constitue le corollaire du principe de l’égalité souveraine des Etats : l’Etat ayant le pouvoir de s’opposer aux agissements des Etats tiers sur son territoire, doit lui-même s’abstenir de s’immiscer dans les affaires des Etats tiers.
Rappeler à la France ces principes élémentaires de droit international coutumier à quelques mois des 70 ans d’indépendance du Maroc, est là, la véritable énigme.
Nul n’est dupe. Sachant que l’ingérence est de plus en plus informationnelle, la série du Monde relève d’une liberté de la presse légitime en France, mais en tant que discours organisé, séquencé et orienté, constitue une ingérence indirecte : le premier quotidien d’influence français tente de délégitimer une institution fondamentale d’un État tiers, en dehors de toute base juridique internationale.
Et cela, en toute quiétude, considérant qu’il n’est nullement concerné par des normes imposées aux tiers, tant par le droit européen que le droit interne français.
En effet, par une décision du 18 juillet 2022, le Conseil de l’Europe a approuvé des conclusions sur la manipulation de l’information et l’ingérence étrangères. Il a ainsi :
– rappelé que les États membres ont exprimé leur détermination, dans le cadre de la boussole stratégique en matière de sécurité et de défense, à renforcer considérablement leur résilience face aux menaces hybrides, aux cyberattaques et aux activités de manipulation de l’information et d’ingérence menées depuis l’étranger, ainsi que leur capacité à les prévenir, à les détecter, à les atténuer et à les contrer, également à l’appui des pays partenaires ;
– souligné que la manipulation de l’information et l’ingérence étrangères sont souvent utilisées dans le cadre de campagnes hybrides plus larges et visent, entre autres, à induire en erreur, à tromper et à déstabiliser les sociétés démocratiques, à créer et à exploiter des frictions culturelles et sociétales, ainsi qu’à nuire à la capacité à mener une politique étrangère et de sécurité ;
– souligné que les tactiques, techniques et procédures de manipulation de l’information et d’ingérence étrangères sapent également la confiance dans les médias et risquent de compromettre le rôle vital du débat public libre pour la démocratie et le bon fonctionnement de la société civile ;
– souligné que ce type de comportement peut être observé dans les activités d’acteurs étrangers étatiques et non étatiques, déjà présents ou émergents, qui tentent de fragiliser les démocraties, de déformer le discours civique et de faire taire la critique.
La loi du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France, a quant à elle, accentué le dispositif européen au niveau interne.
L’effet miroir – double standard – est ainsi saisissant : l’UE fustige les récits stratégiques qui fabriquent des perceptions et fragilisent des institutions, la France se dote d’un cadre légal pour prévenir l’ingérence (y compris informationnelle) quand elle vise sa décision publique… mais tolère que son quotidien de référence construise, pour l’extérieur, un récit séquencé de délégitimation d’un État tiers (Maroc).
Ce que Bruxelles/Paris condamnent chez autrui (Foreign Information Manipulation and Interference – FIMI – La manipulation et l’interférence de l’information étrangère), l’acceptent quand il s’agit d’influencer l’image d’un État tiers via leurs propres organes de presse.
La qualification normative, est à sens juridique unique : la loi du 25 juillet 2024 cible les acteurs agissant pour un mandant étranger auprès des décideurs français – Le Monde n’entre pas dans ce champ. Mais sur le plan normatif, les indicateurs FIMI (récit coordonné, exploitation de tensions, séquençage pour fabriquer une perception d’ « État en fin de règne ») s’appliquent point par point à la série sur « L’énigme Mohammed VI ». Ainsi, la pratique de FIMI « interne française-UE » est allègrement tournée vers l’extérieur.
La contradiction performative est patente : avec la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), la France exige transparence et proportionnalité quand un autre État cherche à influer sa décision publique ; or un média français d’influence peut, sans contre-poids équivalent, influer la perception internationale d’un État tiers. L’ingérence sous drapeau de « presse libre » est ainsi assumée.
L’ordre des six volets de la série n’est pas fortuit : il construit une dramaturgie.
D’abord, « Au Maroc, une atmosphère de fin de règne pour Mohammed VI » installe l’idée d’un crépuscule royal.
Puis, « Mohammed VI, une jeunesse à l’ombre de Hassan II » psychologise le pouvoir en réduisant le Roi à l’image d’un héritier fragile.
Ensuite, « Mohammed VI, le monarque des réformes inachevées » érige le Maroc en pays des promesses trahies.
« Mohammed VI, Roi des grandes manœuvres diplomatiques » réduit les succès stratégiques du Maroc à des agissements cyniques.
« Mohammed VI, le makhzen et l’art des secrets de palais » cantonne une institution millénaire à des intrigues de cour.
« Mohammed VI, l’islam et les islamistes » clôt la pauvre série par de sulfureux raccourcis et amalgames.
Ce dispositif narratif est typique d’une manipulation informationnelle : séquençage coordonné, répétition de thèmes, conclusion orientée.
Il est de renommée que Le Monde n’est pas un acteur indépendant au sens strict. Son financement dépend massivement de l’État français : 17 millions € en 2010, 16,9 en 2011, 18,6 en 2012, encore 8 millions en 2021 et 7,79 millions en 2024.
Issus des données officielles du ministère de la Culture et confirmées par la Cour des comptes, ces chiffres montrent que « l’indépendance » revendiquée s’exerce sous perfusion publique, l’aide structurelle de ses propres journaux de référence brouillant la frontière entre indépendance et dépendance, liberté de la presse et presse d’Etat camouflée.
Un journal subventionné par l’État français ne peut prétendre être un acteur totalement indépendant, et la « liberté de la presse » agitée par Paris est biaisée par le système d’aides publiques, qui fragilise l’indépendance réelle.
Aussi, lorsqu’un organe central subventionné par les fonds publics français tourne sa plume vers l’extérieur (ici le Maroc), il s’agit d’une ingérence informationnelle d’État déguisée, et non de journalisme libre.
La France se protège férocement de l’ingérence étrangère par des lois (loi du 25 juillet 2024, HATVP), par son renseignement intérieur (DGSI) et par la doctrine européenne contre la FIMI, mais tolère, voire encourage, une ingérence sortante à travers ses journaux de référence.
Elle illustre un double standard : ce que la France et l’UE condamnent quand cela émane de puissances rivales, elles le pratiquent quand il s’agit d’un partenaire stratégique du Maghreb, pourtant proclamé comme ami.
Ce type de campagnes informationnelles, ne visant aucunement à informer mais à influencer, pose la question de la dignité des institutions française et la vérité de son action diplomatique, et imposent de répondre avec clarté et rigueur à ces narrations biaisées.
Le fait que ni l’Élysée, ni le Quai d’Orsay, ni les grands médias français n’aient commenté la série « L’énigme Mohammed VI » est révélateur. Dans la tradition diplomatique française, ne pas réagir peut être une manière de laisser faire sans cautionner ouvertement.
Ce silence évite à Paris :
– d’assumer la série comme une position officielle,
– mais également d’avoir à la désavouer, ce qui serait perçu comme une atteinte à la sacro-sainte « liberté de la presse » en France.
Ce choix relève donc d’une stratégie d’ambiguïté : laisser l’influence médiatique agir, sans impliquer directement l’État.
En laissant le Monde publier sans réagir, Paris utilise la liberté de la presse comme paravent diplomatique avec la liberté de la presse comme bouclier, permettant d’éviter toute accusation d’ingérence directe, tout en laissant prospérer un récit de fragilisation de la monarchie marocaine, avec un message implicite : la France a reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara, mais garde le droit de juger sa gouvernance.
C’est une manière détournée et anachronique de rappeler l’asymétrie post-coloniale chère à la France : le Maroc peut avancer, mais sous l’œil critique permanent de la presse française.
En tout état de cause, si ce silence protège Paris d’un incident immédiat, il a aussi des coûts diplomatiques :
– il nourrit au Maroc l’idée que la France instrumentalise ses médias comme relais d’influence,
– il fragilise la confiance bilatérale, conséquence de la duplicité de la stratégie française : reconnaissance officielle d’un côté, délégitimation médiatique de l’autre.
À l’approche du 70ᵉ anniversaire de son indépendance, le Royaume du Maroc demeure maître de ses institutions, de sa souveraineté, de ses choix.
Vient alors à l’esprit cette phrase du Cardinal Mazarin, Premier ministre de Louis XIII puis de Louis XIV : « Laissons dire pourvu qu’on nous laisse faire ».
*Avocat au Barreau de Paris
The post L’ingérence française sous le masque de la presse libre appeared first on Hespress Français - Actualités du Maroc.
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