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À l’heure où la collection Continents Noirs des éditions Gallimard fête son vingt-cinquième anniversaire, l’écrivain et universitaire Eugène Ébodé s’empare de l’hybridation narrative dans Zam-Zam (Gallimard, 2025) comme d’un bistouri chirurgical pour opérer avec jubilation et grâce le renouvellement du roman.
La poésie est ici centrale, probablement dans le but de troubler les genres et de secouer, disons-le tout net, le cocotier intellectuel. Un prologue drôle et érudit, ouvre une histoire d’amour contrariée dans laquelle la gastronomie (l’éloge à la sauce-feuilles) est une mise en bouche astucieuse pour égailler les papilles gustatives et annoncer la tonalité savoureuse des tribulations d’une princesse aux lointaines origines gréco-égyptiennes.
Puis arrive la figure du détraqué, ce Zam-Zam, sauveur inattendu d’un royaume menacé par les flammes et par une terrible malédiction. Ce roman inclassable d’Ébodé est également magnifié par le recours à l’historien. Celui-ci est en effet fondamental pour recontextualiser une « massue royale » jadis utilisée dans l’agriculture, puis récupérée pour tester la résistance physique des candidats au titre de « champion des coriaces et autres récalcitrants » lors d’une compétition burlesque ouverte aux têtes dures du continent africain.
L’ironie, le conte, la satire sont autant de pistes que l’écrivain utilise pour nommer notre état et la ténacité comme la témérité d’une héroïne. La sensation Onisha éclate lorsque le Sultan, à qui elle vient demander un asile poétique après avoir éconduit un vieux notable, lui lance : « Les traditions, vous les piétinez ? » Elle réplique qu’elle n’a rien contre elles, mais qu’elle vomit les cons ! Hespress Fr a suivi à la trace l’écrivain qui entend « rebattre les cartes du dire par le rire ». Entretien.
Professeur Ébodé, si vous aviez à présenter votre surprenant roman à vos étudiants, à quel genre littéraire le rattacheriez-vous ?
A la farce, à la sotie, au picaresque, au drame sentimental, au réalisme magique, au dizain intégrant la prose poétique au roman de mœurs. Bref, je pense avoir commis un récit hybride qui cherche à rebattre les cartes du dire par le rire.
Justement, à Pamanga, le royaume fictif dans lequel se déroule cette histoire, vous le placez sous une double menace : un terrible incendie, et, surtout, une mystérieuse maladie qui foudroie quiconque sombre dans la tristesse…
C’est une allégorie post-Covid-19. Je trouve que la déprime a insidieusement envahi le monde après une pandémie qui, de manière souterraine, nous a davantage affectés et laissés sur le flanc qu’on ne veut le constater. Elle nous a déprimés plus qu’on ne le pense. D’où vient-elle ? On ne le sait pas vraiment. A-t-elle été éradiquée sous le flot des vaccins ? Nous ont-ils insidieusement modifiés ? Qui en a tiré le plus profit ? Bref, le virus circule encore sous le manteau, à bas bruit ou métamorphosé en grippe ou en hurlements divers qu’on entend même dans le bureau ovale. Bref, l’histoire tousse. Douloureusement et dangereusement.
Et la vôtre, celle de Zam-Zam, le dingue, met-elle en scène le danger permanent ou des personnages inquiétants ?
Voire envoûtants. Pensons à la princesse Onisha, au Zam-Zam sauveur, et même au colosse adulé, mais qui reçoit stoïquement des taloches sans regimber. Tenez, le sultan Bokito, à la poigne sévère, n’est-il pas attendrissant quand il repousse les conseils de son entourage pour prêter attention aux idées de la princesse Onisha ? Voyez le Gomina ou le gouvernement central ; réputé autoritaire et insensible, ne vole-t-il pas sans barguigner au secours de populations encerclées par le feu ?
Certes, il accomplit le minimum requis en envoyant des hélicoptères. Mais le feu le plus intéressant, selon vous, n’est-il pas celui de l’amour ?
Il est en effet probablement le plus dévastateur et nous sommes, devant lui, vulnérables et démunis d’extincteurs. Sauf celui outillé par l’amour lui-même.
On pourrait donc croire que ce feu intérieur qui met en compétition sentimentale un écrivain et un champion des coriaces pour la conquête du cœur d’Onisha est le mal qui ne connaîtra jamais de vaccin pour le terrasser.
Ne soyons pas définitifs. L’histoire n’est pas achevée. Admettons néanmoins qu’aimer est une puissance incommensurable. Le feu de la passion brûle même les incendies : il les ignore.
Comment peut-on s’immoler après avoir contribué à réduire la catastrophe. C’est un paradoxe de votre roman. L’assumez-vous ?
C’est le choix de Zam-Zam. Les personnages, surtout les coriaces de ce calibre, n’en font qu’à leur tête. Ils mènent les écrivains, plus qu’on ne le souligne, par le bout de la plume. Zam-Zam a agi comme il le souhaitait. Je n’ai fait qu’obtempérer. Les écrivains sont obéissants. Pourquoi vouliez-vous que je contrarie mon personnage ? Son action lui appartient.
Vous l’avez validée. Y avait-il une autre hypothèse possible ?
Il y en a toujours, Dieu merci. Peut-être qu’un jour, un autre écrivain ou une écrivaine, s’emparant de cette histoire, l’écriraient différemment. Et si Zam-Zam avait agi d’une autre façon, que se serait-il passé ? L’hypothèse est intéressante. Un courant contemporain d’historiens, et même d’amateurs de dystopies ou d’uchronies (récits qui s’appuient sur des faits réels réinterprétés ou repris dans une fiction), nous apprend que cette manière de voir permet d’historiser autrement. L’imagination se nourrit d’ailleurs le plus souvent de la réalité.
Le lecteur peut-il donc connaître ce qui est réel ou fictif dans votre Zam-Zam ?
Tout est réel, puisque nous en parlons ! Le narrateur l’est, vous conviendrez avec moi que ce point est incontestable.
Je vous l’accorde. Mais son aventure avec Onisha est-elle également incontestable?
Au journaliste opiniâtre que vous êtes, je dirais qu’elle est uchronique, c’est-à-dire un prolongement fictif à partir d’un fait historique. En clair, lors d’un récent voyage accompli au Cameroun, et plus précisément au royaume des Bamoum, j’ai appris que deux femmes y avaient régné. L’une d’entre elles a été reine et dotée des pleins pouvoirs pendant trente minutes. J’ai médité sur ce règne éphémère. C’est alors que m’est venue l’idée d’une princesse imaginaire reprenant, à sa manière, le rôle d’une Shéhérazade contemporaine. Je l’ai donc davantage conçue comme une créatrice d’événements inattendus et une passionnée d’histoire, de littérature et de poésie.
Parce que la littérature peut tout, selon vous ?
Parce que l’imagination peut beaucoup. La déprime actuelle a besoin de la mobilisation des imaginaires et pas seulement de la rapidité algorithmique de ChatGPT. A travers Onisha, la littérature est une fête permanente. Celle de l’esprit qui ne s’arrête pas aux frontières géographiques ou culturelles. La bibliothèque universelle est fantastique, car elle est à la disposition de tous. Elle offre toutes les extensions et toutes les heureuses contaminations. Je dirais même qu’elle propose aux écrivains tous les ingrédients disponibles pour composer des histoires succulentes.
Vous revenez, par ce clin d’œil, à la gastronomie.
Si vous voulez. La déprime est un coupe-faim. Elle cultive l’avachissement de la faculté de réjouissance. La littérature est un festin. Elle fait partie des nourritures spirituelles. Elle doit aussi intégrer les nourritures terrestres dans la fabrique du récit. J’ai accordé dans Zam-Zam une place à la sauce-feuilles et à différentes recettes de mon Cameroun natal et de notre Afrique en général. J’aurais d’ailleurs pu parler du tagine et de nombreux autres plats que j’adore dans la cuisine marocaine, voire évoquer le « Bomba royal » que j’ai apprécié lors de mon passage à Cotonou, à l’occasion du salon national du livre du Bénin. J’en ai encore les papilles gustatives en joie…
La collection Continents Noirs fête ses vingt-cinq ans à l’Académie du Royaume du Maroc. Vous êtes l’un des piliers de cette collection.
Les piliers, ce sont les livres et les institutions qui les portent. La commémoration programmée à l’Académie du Royaume sera précisément consacrée à la convivialité et à la mutualisation des idées avec la majorité des auteurs impliqués dans la merveilleuse idée d’Antoine Gallimard et de Jean-Noël Schifano. Une des institutions royales de cet extraordinaire pays qu’est le Maroc, soucieux des aspirations littéraires d’une Afrique décloisonnée, rappellera ainsi les œuvres d’esprit regroupé sous l’intitulé : « Des Racines puissantes aux Sèves montantes ». Nous évoquerons le souvenir des « raciniens » (Amos Tutuola, Mongo Beti, Tchicaya U Tam’si, Henri Lopes) et des générations captivantes (Ananda Devi, Gaël Octavia, Gaelle Belem, Annie Ferret, Sylvie Kandé, Sami Tchak, Libar Fofana, Gaston-Paul Effa, Aminata Aïdara, Justine Mintsa, Frédéric Ohlen, Kangni Alem, Florent Couao-Zotti, etc. Nous célébrerons la richesse d’un continent, critiquerons ses retards, exposerons ses atouts et nous serons pleins de gratitude pour les contributeurs, d’où qu’ils viennent, de l’Afrique comme horizon de pensée, de ressourcement et de rayonnement partagés.
Extrait de Zam-Zam (P. 36)
« Le Sultan Bokito, intrigué par tant de fraîcheur et de pugnacité
Conclut de protéger la fugueuse et de libérer tous ses rêves.
Que voulait-elle accomplir de significatif en ce bas monde ?
Promouvoir l’imagination et le pouvoir des mots, Majesté.
Vous n’avez rien trouvé de mieux pour épicer votre existence ?
C’est dans la fiction, Immense Seigneur
Que gît la somme des épices pouvant pimenter ma vie !
Concrètement, votre pimenterie là se passera comment ?
J’organiserai des débats brassant cerveaux lents et rapides
On n’opposera plus hémisphère droit et hémisphère gauche. »
The post "Zam-Zam" : Eugène Ébodé mêle amour, histoire, poésie et satire pour un roman inclassable appeared first on Hespress Français - Actualités du Maroc.