" "
Posted by - support -
on - Tue at 11:00 AM -
Filed in - Society -
-
5 Views - 0 Comments - 0 Likes - 0 Reviews
Le 17 novembre 2024, l’accord de pêche qui liait le Sénégal à l’Union européenne depuis 2019 a expiré. Un protocole de cinq ans, assorti d’une contribution financière de 8,5 millions d’euros par an et de redevances payées par les armateurs européens, s’est ainsi achevé sans renouvellement. Dakar s’est félicité de cette rupture, y voyant une étape décisive vers la reconquête de sa souveraineté maritime. Mais, un an plus tard, les conséquences apparaissent contrastées, tant pour les Européens privés de ressources que pour le Sénégal, encore en quête d’une gestion durable de ses eaux.
Côté européen, l’arrêt fut brutal. Les thoniers et chalutiers qui fréquentaient la Zone économique exclusive sénégalaise ont dû lever l’ancre. Pour certaines flottes, il s’agissait de zones stratégiques, notamment pour le thon ou le merlu noir. La Commission européenne a officiellement justifié la fin de l’accord par les « manquements » de Dakar dans la lutte contre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée. Mais dans les faits, ce sont surtout les armateurs qui ont vu disparaître une source d’approvisionnement rentable, tout en dénonçant une décision « précipitée ».
Pour Dakar, l’expiration du protocole a signifié la perte immédiate de la manne financière européenne. Les 8,5 millions d’euros annuels constituaient une ressource non négligeable pour le budget national et pour certains programmes de surveillance maritime. En revanche, les autorités ont affiché une volonté politique ferme qui est celle de protéger les ressources halieutiques, limiter la surexploitation et donner davantage de place aux pêcheurs artisanaux.
Dans les faits, la rupture n’a pas produit de miracle. Quelques pêcheurs ont observé le retour progressif de certaines espèces autrefois raréfiées, mais les communautés artisanales restent confrontées à une précarité persistante (baisse des captures, coûts élevés, insuffisance des infrastructures de transformation) . La souveraineté affichée se heurte aux réalités d’un secteur encore dominé par des pratiques opaques et par la présence, sous pavillon sénégalais, de navires liés à des intérêts étrangers.
Le gouvernement sénégalais a multiplié les gestes symboliques en publiant une liste de navires « nationaux », en intensifiant des inspections, des arraisonnements pour pêche illégale. Ces signaux marquent un changement de ton, dans un pays longtemps accusé de brader ses ressources. Pourtant, la tâche reste immense. Le contrôle des 200 milles nautiques de la ZEE requiert des moyens technologiques et humains considérables. Malgré la fin des accords avec l’UE, la pêche illégale continue, portée par des montages juridiques complexes et la faiblesse des capacités de surveillance.
Au-delà du symbole, la souveraineté halieutique se mesure à la capacité du pays à exploiter, transformer et valoriser lui-même ses ressources. Sur ce terrain, le Sénégal accuse encore un retard notable. Les infrastructures de conservation et de transformation sont insuffisantes, la régulation demeure fragile et les pêcheurs artisanaux restent les grands perdants de ce système. La reconquête de souveraineté n’est donc pas un acquis, mais un chantier de longue haleine.
Oui, le Sénégal a fermé la porte aux flottes européennes et revendiqué haut et fort son indépendance maritime. Mais si la mer respire mieux, il serait fâcheux que cette parenthèse ne serve peut-être (qui sait ?) qu’à préparer le prochain accord signé à la hâte, où quelques millions pèseront plus que des générations de pêcheurs. Car la souveraineté, ce n’est pas tendre ses filets au gré des offres venues du large. C’est être capable de pêcher, transformer et nourrir son peuple sans attendre qu’un partenaire vienne dicter le menu. À défaut, on risque de troquer la souveraineté des mers contre un simple plat de poissons salés et séchés
Henriette Niang Kandé
L’article Un an après la fin des accords UE-Sénégal : entre reprise de souveraineté et incertitudes est apparu en premier sur Sud Quotidien.